CELINE et les
AUTEURS (A - F)
*
ADG (de son vrai nom Alain FOURNIER, romancier et
journaliste 1947-2004): " Il est exact qu'à mes débuts
(soit il y a près de vingt ans !), j'ai été très
influencé par L-F Céline dont je possédais toutes les
œuvres en éditions originales. Au cours des années, je
me suis défait et du style et des œuvres, l'un parce que
je n'étais pas Céline, les autres parce que j'avais
besoin de fric. Aujourd'hui, je me trouve très bien
sans. "
(Militant,
1er septembre 1988).
* Marina ALBERGHINI (romancière
italienne): " Les pamphlets contiennent sans doute les
plus belles pages de Céline sur le mythe,
la danse (on y trouve également des arguments de
ballets), la magie des animaux, du monde extrasensoriel,
sur la beauté et le rôle important de la femme, les
fantasmes, la mer. Naturellement, il s'y
attaque aussi au pouvoir. A de nombreux pouvoirs, et
donc pas uniquement au pouvoir des juifs.
Bagatelles pour un massacre fut écrit en 1937
pour empêcher la France d'entrer dans une guerre qu'elle
n'était pas capable de mener.
Même chose pour
L'Ecole des cadavres (1938), écrit contre
l'utilisation de la " chair à canon ", et avec
les Beaux draps
(1941) qui analysait la défaite de la France. Ces livres
sont encore (incroyablement ! ) à l'index, interdits de
réédition. Pour la plupart des intéressés, il est
impossible de les lire. A l'instar de ce qui fut le cas
de La Divine Comédie
parce que Dante fulminait contre le pouvoir de l'époque
et les toscans. Ou du
Dictionnaire de Voltaire, bien plus antisémite
que Céline. "
(Réponse
à Carlo Bo, article paru dans le Corriere della Sera,
sept. 2004).
*
Jean-Claude ALBERT-WEIL
(écrivain, musicien de jazz, 1933-2019): " Quand vous avez dix-sept
ans vous tombez sur Céline, ou bien
vous êtes voué à demeurer toujours un
grand niais qui ne
ressent rien, ou bien vous vous retrouvez secoué
de fond en comble. Tous les autres, c'étaient des
" pfut-gens-de-lettres ", lui c'était vrai, c'était
plein, solide, au fond du gouffre mais ferme. Après lui,
autour de lui, il n'y avait rien. Et Sartre même dans
La Nausée, pourtant bien nourrie de Céline,
n'apparaissait que comme un petit prof académique.
(...) Céline n'est pas triste. Son comique est irrésistible.
C'était enfin l'écrivain que rien n'arrête.
L'individualisme poétisé au possible, opprimé certes,
mais se posant en frêle héros, face à tous les
collectivismes y compris le " standarisationnisme "
capitaliste. Je dis que, depuis 1950, personne n'échappe
à Céline. Je parle des écrivains et pas des
écrits-vains. "
(Antaios,
Figures et éveilleurs, Bruxelles).
* Bernard ALLIOT (romancier,
journaliste, chroniqueur, 1936-1998) : " 1956. J'entrais
dans ma dix-huitième année. Les tourments qui
incombaient à mon âge me
rattrapèrent : je levai les yeux sur le monde et cessai
de croire les livres. Dans le ciel, les grues tendaient
leur potence. Cet univers de cris, de déchirures
d'acier, de crépitements des marteaux à air comprimé :
tels étaient ma réalité et mon destin. Une littérature
de mots magiques et de nobles sentiments me parut
singulièrement mensongère. Elle me conviait à une
cérémonie funèbre : je trouvais un goût délétère à la
madeleine de Proust. [...] Un livre accrocha mon regard
: Voyage au bout de la nuit, d'un certain Céline.
[...] Je ressentis violemment, je le ressens encore,
l'étouffement de Bardamu dans l'enfer organisé de M.
Ford, à Détroit.
Je ne lâchai plus le livre. Avec des mots volés au quotidien, à la vie
ordinaire, Céline me rendait, avec art, ma réalité. Plus
tard, je devins sévère pour le pamphlétaire
réactionnaire qu'il fut aussi. Mais, paradoxalement ce
révolté sans révolution, ce prophète ricanant de toutes
les défaites, me redonna l'espoir de sortir du
prolétariat, avec sa lointaine disparition par
l'abolition de toutes les classes. Je devais bien à
Bardamu cet hommage. "
(Le Monde, 15 octobre 1982, dans Spécial Céline n°7, nov/déc/2012-janvier
2013).
*
David ALLIOT
(écrivain et imprimeur): "
M. Klarsfeld s'érige en censeur. M.
Klarsfeld décide ce qui doit être célébré ou pas. C'est
donc M. Klarsfeld qui décide ce que les
Français doivent
faire ? Si l'on en croit ses déclarations, il faudra
attendre " plusieurs siècles " avant de pouvoir célébrer
Céline ! Diantre ! C'est M. Klarsfeld qui fixe également
la levée de l'opprobre. Puisque
M. Klarsfeld régente les Lettres françaises, nous
attendons de savoir quel sort sera réservé au très
stalinien Louis Aragon (que les idées antisémites de
Céline n'ont pas toujours dérangé), à Marcel Jouhandeau,
auteurs d'écrits condamnables, à Paul Morand qui n'avait
que mépris pour le peuple d'Israël, au très antisémite
Voltaire qui doit sa fortune à la traite négrière, à
Hergé dont certains dessins n'ont pas toujours été
exemplaires, à Georges Simenon, qui ne passe pas pour un
grand philosémite.
La liste n'est pas exhaustive, et l'on pourrait rajouter
le très antisémite Théophile Gautier, célébré lui aussi
en 2011...
M. Klarsfeld à la mémoire sélective, mais avant de
libérer les étagères de ma bibliothèque, j'attends de
recevoir ses consignes de lecture. En 2011, le plus
grand écrivain français du XXe siècle ne sera pas honoré
dans son propre pays. Il n'y a qu'en France que l'on
voit ça. Toutefois, si l'on ne peut reprocher à M.
Klarsfeld de méconnaître et de ne pas apprécier Céline,
on reste perplexe devant les indignations exprimées par
un maire de premier plan, et par l'attitude d'un parent
d'un ancien président de la République, aujourd'hui
ministre. Ceux qui naguère cautionnaient par leur
silence le régime de M. Ben Ali en Tunisie n'ont pas
loupé l'occasion de se refaire une virginité électorale
sur le dos d'un vieil écrivain antisémite. C'est ce que
l'on appelle " l'indignation à géométrie variable ". En
politique, c'est de bonne guerre ; pour le reste, chacun
jugera... "
(Le Monde.fr , 27 janvier 2011).
*
Philippe ALMERAS
(critique littéraire et
biographe): " Pourquoi lit-on plutôt l'un que l'autre
(Montherlant) ? Une fois écartée la fausse réponse du
style, il faut imaginer le lecteur, jeune ou vieux, gavé
de l'aube au crépuscule de
bons sentiments envers les femmes, les immigrés, les
sans-papiers, sommé de tenir tous les bipèdes pour ses
semblables et convaincu de culpabilités rétrospectives
variées, il faut imaginer ce lecteur découvrant la prose
lyrique du seul qui sache piétiner nos tabous les plus
chers entre deux ballets et trois idylles. L'impunité
fournie par le temps et le talent assure la renaissance
du phénix. "
(Article
dans le 300e du BC sept. 2008).
- " J'ai
passé Céline au laser, au peigne fin, à la suspicion
systématique, au détecteur de mensonges, rien à
déclarer, alors si je vous dis que le monstre est
génial, je sais de quoi je parle. "
(Maroc
Hebdo international, Suresnes, 5-11 octobre 1996).
*
" Dans la période précédent Soixante-huit,
période respectueuse des grands tabous et des
reconstructions historiques audacieuses (la France
résistante, la France victorieuse), on avait perdu les
repères conceptuels et stylistiques des temps
précédents. Rien ne donne une idée aujourd'hui des
polémiques de l'entre-deux-guerres et des insultes
sanglantes qu'on se lançait de part et d'autre. Or il
fallait ressaisir tout cela pour ressaisir le phénomène
Céline. A cet égard rien ne trahirait plus le texte,
lorsqu'on se résoudra à republier les pamphlets, que son
affadissement par des notules et des gloses, comme les
notes dont on a paré les romans, enrobages raisonnables
pour ce qui ne l'est pas (l'émotion évoquée par la mort
ignominieuse de Louis Renault, par exemple).
Céline va plus loin que les autres mais les autres
allaient déjà passablement loin, Aragon en conchiant
solennellement l'Armée française ou en se réjouissant en
rimes du massacre intégral de la famille impériale russe
" Hourra l'Oural ". Nous relisons tout cela
dans l'accalmie respectueuse qui suit les grands
massacres. Céline n'avait peut-être pas tort de se
prendre pour le bouc émissaire de ses hypocrites
confrères, résistants par intention. "
(Vingt-cinq
ans d'études céliniennes, éd. Minard, BC n°87, novembre
1989).
* Jacques-Pierre AMETTE
(écrivain, critique littéraire, prix Goncourt 2003): "
Grâce à son raffinement stylistique, il ajoute à
l'argot patine et noblesse. Comme La Bruyère ou La
Rochefoucauld, il tend vers le portrait moral et vise à
l'université. Un style saccadé, vachard, qui n'est
absolument pas naturel, mais ciselé. On retrouve la
conversation française avec sa vitesse, ses saillies
bifurcations, digressions, rire voltairien, et
ronchonnerie franchouillarde.
Aveuglés par
l'aspect torrentiel de son écriture, les critiques
littéraires de l'époque étaient incrédules quand Céline
affirmait que ses influences venaient de Voiture et de
Mme de Sévigné. "
(Le
Point hors-série n° 20, nov-déc. 2008).
* Jean ANOUILH
(écrivain et dramaturge 1910-1987): " Entre ANOUILH
et Céline, à première vue, le lien est faible. Pourtant,
on a souvent cité Céline à propos de la noirceur d'ANOUILH,
de son ton rageur contre la société, et contre l'homme
en
général, - un ton parfois mêlé de tendresse. Les deux
hommes sont toujours restés éloignés l'un de l'autre,
malgré un ami commun : Marcel Aymé. En politique
ANOUILH
n'avait que des réactions épidermiques, il le
reconnaissait, et ne se mêlait pas des vicissitudes de
l'Europe. Par amitié pour Brasillach, il s'est battu fin
janvier 1945 dans l'espoir d'obtenir la grâce du
condamné à mort. Son échec l'affecta profondément. Il
devint dès lors d'un antigaullisme farouche et jamais
démenti. Les mots de Céline sur la mort de Brasillach
l'ont sans doute consterné, s'il les a lus.
Du
côté de Céline, une seule mention d'ANOUILH, dans
un P.S. du 30 juillet 1957 à Roger Nimier : " Les
auteurs célèbres aujourd'hui sont les auteurs de théâtre
: Montherlant, Camus, cette grosse vache de Marcel
(Aymé), ANOUILH, etc. Les prosateurs (sic) ne
sont lus que par des vicieux. " Et bien, ANOUILH,
lui, lisait les " prosateurs ". Dans la préface de La
Traversée d'une vie , quelques lignes témoignent de
l'attention avec laquelle il avait lu Céline : " Il y a
même comme un air de Céline, écrit-il, dans certains
passages d'exode, et dans la description de la pension
anglaise qui m'a rappelé celle de Mort à crédit. "
(Benoît Le Roux, La Traversée d'une vie, Robert Laffont,
1974, dans le Petit Célinien 22 décembre 2010).
* Sonia ANTON
(docteur en littérature française, enseigne à l'IUT du
Havre): " La correspondance de Céline est enfin d'un
immense apport dans notre connaissance d'œuvre
littéraire. Elle offre un creuset inépuisable de thèmes
et d'obsessions qui traversent
aussi l'œuvre. Ces lettres sont un lieu d'exploration
de l'imaginaire et de la pensée de Céline, et donnent
prise à des analyses tant thématiques que d'orientation
psychanalytique. Elles nous éclairent aussi sur
l'idéologie de Céline, en retraçant l'évolution de ses
prises de position politique et de ses idées.
Elles
permettent une analyse d'ordre génétique, au sens large
du terme, en nous livrant des informations sur
l'histoire des œuvres, les procédés de fabrication, la
poétique célinienne. L'écrivain ne s'est finalement
jamais exprimé sur sa poétique que de façon relativement
fragmentaire et surtout très métaphorique ( "
la petite musique ", " le métro émotif ", " la dentelle
", etc.) Celle-ci continue à donner lieu à des
travaux de décryptage et d'affirmations interprétatifs,
pour lesquels les lettres ont toujours été un support
très précieux. "
(Céline
épistolier, Editions Kimé, 2006).
*
Antonio Lobo ANTUNES (écrivain, romancier
portugais): " Mon père, un jour m'a montré
Mort à crédit, en français, dans la vitrine d'un
libraire. Il m'a dit : " Il faut absolument que tu lises
ça. J'avais seize ans, j'ai lu le
Voyage, dans la deuxième édition, chez Denoël,
qu'il avait à la maison. J'ai été si enthousiasmé que je
lui ai écrit en lui demandant une photo, comme à une
star de cinéma. Et il m'a répondu, sur son fameux papier
jaune. Une lettre très tendre, très affectueuse. Il me
disait que pour écrire des romans, il fallait abandonner
presque tout le reste. Ce qui m'a ému, surtout, c'était
de voir mon nom écrit par Céline sur l'enveloppe :
Antonio Lobo ANTUNES, Lisboa. C'était en 1959. Ca a
débuté comme ça... "
(Libération,
25 octobre 1985).
*
Louis ARAGON
(poète, romancier, journaliste et essayiste 1897-1982):
" Sous le titre " Le tyran des lettres ", l'hebdomadaire
Minute a, dans son n° 1089 (février 1983) publié
la lettre suivante : " Après la mort d'ARAGON,
j'ai été très étonné de ne pas lire le moindre détail
concernant son passage au Comité national des écrivains
que Jean Paulhan (écœuré) devait quitter en 1948. Dès
1944, devenant le membre le plus influent du CNE,
ARAGON fait régner une véritable dictature sur les
lettres françaises. Il a empêché de toutes ses forces
des écrivains aussi importants que lui de parvenir à la
postérité.
C'est à cause d'ARAGON
et du CNE que la plupart de nos enfants n'ont jamais lu
un seul livre d'Henri Béraud, de Drieu la Rochelle, de
Brasillach, de Daudet, de Chardonne ou d'Alphonse de
Châteaubriant. Seul Céline a pu échapper d'un purgatoire
qu'on n'a pas réussi à transformer, pour lui, en enfer
éternel...Il était vraiment trop grand pour les nains du
CNE. Tous ces écrivains (et bien d'autres) d'immense
talent s'étaient trompés et avaient joué la mauvaise
carte mais aucun n'avait du sang sur les mains. Aucun
n'avait été décoré par Hitler alors qu'ARAGON
l'a été deux fois par Staline, que tous les historiens
s'accordent à présenter, désormais, comme le tyran le
plus sanguinaire de toute l'Histoire. "
(BC
n° 8, avril 1983).
*
J'ai toujours aimé les gens pour des raisons qui
n'étaient pas politiques... pour leur poésie, leurs
écrits, leurs peintures... J'ai admiré Barrès... J'ai
pris le goût de Claudel. Dans le cas de Céline, c'est un
peu plus complexe car il est difficile de séparer les
opinions de l'auteur de ses textes : il y a des choses
si intolérables que le livre vous tombe des mains.
Mais initialement, j'ai beaucoup aimé le Voyage au bout de la
nuit. J'ai même eu d'excellents rapports avec Céline
pendant un certain temps... Il m'a fait l'honneur de
déclarer qu'il avait appris à écrire en lisant Le
Paysan de Paris. C'est probablement excessif mais
enfin... "
(Lui, avril 1974, Spécial Céline n°7).
* Alberto ARBASINO
(écrivain et essayiste italien contemporain): " Dans ce
pavillon délabré, cerné d'une désolation incroyable, vit
encore l'auteur de
Voyage au bout de la nuit qui changea il y a tant
d'années son nom de chevalier de Barbey d'Aurevilly
pour celui de sa mère ou de sa grand-mère, paysanne ou
artisane, Céline. Et après la publication de son tout
récent livre, D'un
château l'autre, qu'on a fait mousser comme un
évènement des plus sensationnels et comparé pour son
importance au moins à l'œuvre de Proust, il assiste avec
amertume à sa redécouverte comme
post mortem après un si long silence officiel. Il
dit que " c'est inutile , que c'est trop tard ".
J'ai trouvé
un vieillard épuisé, dans un état d'abandon absolu, vêtu
d'un chandail troué, dans des pièces et au milieu de
meubles qui invitent à s'exclamer : " Mais vous n'avez
donc pas de chiffon pour la poussière dans cette maison
? Ou plutôt je vais vous en apporter un ! " trop fatigué
et confus, et au-delà de tout mouvement de cœur, pour
qu'il semble se soucier - en définitive - de rien. " Un
italien ? s'étonne-t-il en me faisant entrer. Je n'en ai
pas vu depuis des décennies. "
(Chapitre
" Docteur Destouches " été 1957, in Paris ô Paris,
Gallimard, 1997 dans BC n°177).
* Marcel ARLAND
(1899-1986, romancier, critique littéraire, co-directeur
de la NRF, reçu à l'Académie française en 1968): "
Bagatelles pour un massacre, c'est M. Louis-Ferdinand
Céline en liberté. Plus de contrainte romanesque. Il s'en donne à cœur
joie, à gueule-que-veux-tu, renâcle, piaffe, fonce, vitupère, revient,
s'acharne, et tour à tour gouailleur, satirique, bouffon, lyrique, joue
son personnage avec un parfait mélange d'abandon éperdu et de
conscience. Mais après tout, qu'il s'agisse d'une demi-fiction comme
Mort à crédit ou d'un soliloque comme dans le cas aujourd'hui, son
attitude ne diffère guère que par l'aisance ; dans les deux cas, il ne
satisfait qu'en grossissant démesurément une donnée jusqu'à l'apparence
d'un mythe monstrueux. [...] Bagatelles pour un massacre, c'est
l'Apocalypse selon Ferdinand.
[...] Parti pour exprimer une haine très nette, ce
sont toutes ses haines qu'il expose. Et le mot juif prend peu à
peu le sens qu'avait jadis et naguère le mot bourgeois. C'est au
nom de l'indépendance, de la franchise, de l'émotion lyrique qu'en vient
à parler Céline. [...] Il est bon que de tels réquisitoires s'élèvent,
même confus, même brouillons, même faux sur la moitié des points. Qu'on
lise les pages qui ont trait à la critique, au cinéma, à la littérature,
en dépit des erreurs et des généralisations simplistes, la position de
Céline est solide et sa voix porte loin. [...] Par-delà Mort à crédit,
dont le flux désenchanté, mécanique et monotone lassait rapidement, le
Céline de Bagatelles rejoint et prolonge celui de Voyage.
"
(E. Mazet, dans
La Nouvelle Revue française n° 293, janvier 1938, Spécial Céline n° 30,
2018).
* Juan ASENSIO (essayiste, critique littéraire,
polémiste, créateur du blog " Le Stalker "): "
(...) La cruelle fable du portrait de Dorian Gray n'est
pas esquissée, même
lointainement, pas une seule seconde
elle ne semble pouvoir conclure le texte de
Brami. Finalement, c'est La Légende du Roi
Krogold,
un texte de Céline dont nous ne possédons que des
fragments, qui donne le fin mot à notre histoire
paraît-il célinienne : on y sent, sous la copie poussive
(Emile Brami ayant complété selon sa fantaisie les "
trous " de ce texte mythique), une écriture plate,
horriblement peu imaginative qui, sans même l'usage de
caractères romains, ferait tache au milieu des phrases
de Céline ; écriture sans don, style ni gras ni sec que
l'auteur paraît avoir tenté d'exorciser en mettant en
scène le génial faussaire Pierrick Mazur, dont la
psychologie recèle cependant moins d'abîmes que les plus
anodins trois points de suspension si chers à l'auteur
du Voyage au bout de la nuit.
Finalement, de façon bien involontaire, Massacre pour
une bagatelle n'est peut-être pas tant un roman
célinien que l'aveu d'une blessure secrète (et, pour le
coup, involontaire ironie, assez célinienne dans sa
manifestation), qu'il ne nous appartient pas de sonder.
Mais n'est-ce pas le triste sort de ces demi-soldes
traînant leur épée en plastique sur les routes défoncées
et fort encombrées de la Célinie (où existent bien
évidemment de vrais spécialistes, comme Eric Mazet
caricaturé par Brami en Mazur) de n'avoir finalement de
célinien que le petit doigt, oubliant qu'il faut une
main tout entière pour écrire ?... "
(A propos d'E.
Brami, massacre pour une bagatelle, L'Editeur 2010, Le
Petit Célinien, 9 sept.2010).
*
Pierre ASSOULINE (romancier, journaliste, biographe,
romancier): " Céline est un grand écrivain français, un
des plus grands de ce siècle. Il a bouleversé la langue
française, bousculé la syntaxe, révolutionné la manière
d'aligner les mots. Ils sont très peu nombreux, les
écrivains dans ce cas. Il y a, à mes yeux, deux Céline :
l'écrivain et le polémiste. De ce dernier, celui de
Bagatelles et autres pamphlets de la même veine, je
ne dirai rien. Leur excès et leur nature en font des
objets d'études qui relèvent exclusivement de la
pathologie.
Parlons donc de
l'autre Céline. Le Voyage, les
Entretiens et beaucoup de ses textes
ne doivent pas être jugés à la lumière
de
son antisémitisme. Cela n'a rien à voir. Le comble de la
malhonnêteté intellectuelle et de la médiocrité
littéraire consisterait à projeter rétrospectivement la
haine du pamphlétaire de la fin des années 1930 sur le
Voyage pour annuler le génie de Bardamu. "
(Information
juive, février 1987, E. Mazet, Spécial Céline n°7).
*
Michel Bounan et
Jean-Pierre Martin, deux anticéliniens de choc viennent de produire deux livres : le critique
littéraire
Pierre ASSOULINE
les a lus : - " Si les exercices d'admiration me
laissent parfois pantois, les exercices d'exécration me
laissent toujours perplexe. En lisant la prose de ces
anticéliniens parfois déchaînés, on se rend compte que
la haine est contagieuse. Que sans une vision du monde
qui la transcende, sans projet littéraire qui la
sublime, sans talent ni génie, elle n'est que de la
haine. Il y a tout de même des passages puissants et
inoubliables dans ces deux livres. En toute bonne foi,
je les ai cochés. Quand j'ai entrepris de les recopier,
je me suis aperçu que c'étaient tous des citations
extraites de l'œuvre de Céline. Mes maîtres avaient
raison. Il faut toujours préférer l'auteur à ses
commentateurs. Ils ne font que passer. Lui, il reste. "
(Le Nouveau Quotidien,
17 avril 1997).
*
Céline est un bloc. A prendre ou à laisser. Mais si on
prend, on ne laisse rien. Le même homme est à l'origine
de l'œuvre une et
indivisible. Si on lui trouve du génie on ne peut faire
l'économie de l'abjection, des vomissures, de la haine
(...) Elles ont partie liée avec sa création, c'est
triste à dire, mais elles renforcent aussi la puissance
comique de certaines de ses pages les plus délirantes.
Il faut vraiment n'avoir jamais lu ses chapitres
diabolisés pour passer à côté de cette évidence. "
(Le
fleuve Combelle, Calman-Levy, 1997).
* Yvan AUDOUARD (écrivain,
journaliste au Canard enchaîné, 1914-2004) : " Je
vais relire la thèse de doctorat de Céline. C'est
l'histoire d'un médecin génial et fou qui avait
pressenti avant Pasteur l'existence des microbes ?
Céline est pour moi cet accoucheur aux ongles noirs, qui a
découvert les microbes dont le monde d'aujourd'hui est
en train de mourir. " (Nouveau Candide, 6 juillet
1961, E. Mazet, Spécial Céline n°7).
*
Dominique AURY (dite Pauline Réage, née Anne
Desclos, femme de lettres, 1907-1998, auteur de
Histoire d'O) : "
Et on a publié Céline.
J'ai accompagné Paulhan à Meudon où Céline nous a reçus
dans sa salle de consultation. Il se plaignait qu'il
n'avait pas assez de clientes. Il faut vous dire que le
divan sur lequel j'étais assise était
de toute évidence
couvert de poils
de chiens - il avait deux ou trois Danois magnifiques -,
et que les mains de Céline étaient noires de crasse...
Il nous expliquait qu'il habitait à flanc de coteau, que
les femmes avaient toujours mal au ventre et que, pour
cette raison, elles répugnaient à monter chez lui. Je me
disais qu'on ne devait pas venir deux fois chez lui pour
des examens gynécologiques... Céline était un personnage
très sympathique et un peu fou. Dubuffet était
absolument enthousiaste de Céline. Un jour, il lui a
amené sa femme, Lili, qui avait des problèmes
pulmonaires. Céline lui a fait des radios et, pendant
qu'elle se rhabillait, il a dit à Dubuffet : " Tu
sais, mon vieux, fous-lui la paix, elle a des cavernes
et elle est foutue. Laisse tomber la pénicilline, c'est
de la foutaise, et de toute façon, avec elle, cela ne
durera pas longtemps. "
Dubuffet, tout de même, un peu choqué, est allé voir
quelqu'un d'autre. Dubuffet est mort avant Lili. Céline
avait incontestablement un côté fou. Il a fini par se
brouiller avec Paulhan qui en a eu assez des lettres
d'insultes. On l'a refilé à Roger Nimier qui s'est très
bien entendu avec lui. Mais il est évident que Céline
asticotait Paulhan pour voir jusqu'où il pouvait aller.
Une fois, il nous a accompagnés jusqu'à la porte.
J'avais à l'époque une vieille traction avant qui ne
démarrait pas toujours au quart de tour. Il a assisté
aux opérations de mise en marche avec énormément de
sympathie. Il était ravi. Une fois partis, Paulhan m'a
dit : " Vous savez, si vous aviez eu une voiture en
parfait état de marche, il n'aurait pas été si gentil.
"
(Propos recueillis par Arnaud Guillon et Frédéric
Badré, L'Infini n°55, 1996, dans L'Année Céline 1996).
* Christian AUTHIER (essayiste, romancier,
journaliste): " Les pamphlets de Céline sont censurés et
tombent sous le coup de la loi. Que faire de plus ?
Crever les yeux
de ceux qui les ont lus depuis cinquante
ans ? Sauf erreur c'est bien Malraux et
non Céline qui est au Panthéon ! De même, ce sont les
thuriféraires de Staline, Mao et Pol Pot - comme Sartre
- qui sont étudiés dans les lycées ! Ce qui est
intéressant dans la poussive démonstration de notre
ayatollah, c'est que l'on touche du doigt l'air du
temps. Derrière le charabia abscons, l'invective plate,
les pathétiques difficultés avec la syntaxe, la
médiocrité étalée et satisfaite d'elle-même, la bassesse
des contre-vérités apparaît la sale gueule du
politiquement correct.
Une pincée de Le Pen et de Bosnie pour être complet et
nous voilà au sein des glauques troupeaux entonnant la
mélodie haineuse du " Pas de liberté pour les ennemis de
la liberté ". Leur liberté aigre, fourmillante de
prisons et de listes noires, n'est pas la nôtre. Un
jour, peut-être, ces gens-là gagneront la partie. Ils
ouvriront des camps de concentration pour que plus
jamais le fascisme ne revienne. Ils brûleront les livres
de Céline pour lutter contre l'intolérance. Nous vivrons
dans le meilleur des mondes. "
(Contre
Céline, tout contre, L'Opinion indépendante du Sud
-Ouest, BC juillet-août 1997).
*
Marcel AYME (écrivain, dramaturge et nouvelliste
1902-1967) : " Il s'est créé autour de Céline une
mauvaise légende dont il est en partie responsable,
n'ayant rien fait pour la détruire et s'étant même plu à
l'entretenir. C'est celle d'un homme
violent, hargneux, implacable dans ses haines comme dans
ses antipathies, avide d'argent, ennemi de son pays,
celle aussi d'un démolisseur anarchisant et d'un
pessimiste se délectant de l'être. Bien que les
apparences plaident parfois pour elle, une pareille
légende est aussi éloignée que possible de la vérité. "
(Cahiers de l'Herne, 1963).
*
" Tous les dimanches Marcel AYME
vient voir Louis à Meudon. Il arrive vers onze heures.
Ils échangent quelques mots. Suit un long silence. Louis
écrit, pendant que Marcel assis sur le divan,
muet, le regarde à sa table de travail... Encore
quelques bribes de conversation... à nouveau le silence.
A midi, AYME s'en va. " Tu files hein ! les
pieds sous la table ! et à l'heure ! pas d'histoire ! la
bourgeoise t'attend ! " Plusieurs dimanches se
passent et pas de Marcel. Louis s'inquiète. Il
téléphone. " Alors ? Qu'est-ce que tu deviens ? - Tu
m'engueules tout le temps, j'ai le sentiment de
t'embêter. - Mais pas du tout mon vieux, allez viens
vite ! On t'attend ! "
(Serge Perrault, Céline de
mes souvenirs, du Lérot, 1992, BC n°146, nov. 1994).
* Alain BAGNOUD
(écrivain suisse, romancier, enseignant en lettres): "
On ne sait pas si Princhard réussit. Il disparaît du
livre soudain. Mais au-delà de Princhard, c'est à
tous
les pauvres, à tous les faibles, les exploités, les
humbles, que Céline accorde
sa pitié. C'est d'ailleurs eux qu'il utilisera pour sa
défense, plus tard, quand il s'agira de justifier ses
pamphlets. Suivez bien le raisonnement. Avant le
conflit, Céline ne veut pas de deuxième guerre mondiale,
parce que c'est les pauvres qui s'y feront massacrer.
Or, d'après lui, la guerre est la faute des juifs (oui,
évidemment, ça nous semble complètement absurde, mais
une certaine propagande l'assurait à l'époque).
De plus, les juifs sont des puissants, des maîtres,
détenteurs secrets de tous les leviers du pouvoir (la
propagande de l'époque, toujours). Donc c'est son amour
des petits et sa haine des possédants qui rend Céline
antisémite. Il aurait pu notez le bien, finir en face,
chez les communistes, à brocarder les patrons et le
capital. On hésitait à le classer, au début. Aragon et
Elsa Triolet lui tendaient les bras. Mais peut-être que
tout compte fait, s'il a rejoint un bord plutôt que
l'autre, c'est que son écriture avait plus besoin de
véhémence solitaire amère et vindicative que de
principes collectifs vertueux. "
(bagnoud.blogg.org
2010).
*
François BALTA
(médecin psychiatre, auteur): " Pour moi, j'en étais
resté à une compréhension double: Céline s'est piégé
lui-même en se présentant sans idées juste " un
chroniqueur ". Pour ne pas donner de leçons tout en
exprimant ses idées, il faut nécessairement se défausser
de la place de maître à penser, et donc prendre un rôle
auquel le lecteur ne doit
pas pouvoir pleinement s'identifier. Etre détestable à
souhait, injustifiable, inacceptable. Comment se faire
rejeter au plus sûr ? En " incarnant " (le mot ne
plairait pas à Céline ! ) tout ce que chacun ne peut
accepter en soi, en grossissant le trait de tout ce
qu'il y a de mauvais en chacun. Paradoxe sans doute,
pour ne pas agir haineusement, il faut sans doute être
capable de reconnaître le sentiment de haine de soi.
(...) Céline est resté prisonnier de sa position, réduit
au silence sur son propre jugement, condamné à exprimer
dans la figure loqueteuse de l'ermite de Meudon le
repentir et l'absence d'agressivité, s'accrochant de
toutes ses forces à une position de victime pour " dire
" sans mots qu'il n'était pas celui qu'il avait joué
pour nous dire qui nous étions à une époque à laquelle
troublée, époque à laquelle Gide pouvait qualifier
l'antisémitisme de " passion banale ". Céline
n'a-t-il pas, d'une certaine manière, fait que de
renvoyer à la France son propre visage insupportable ?
(...) Céline et Freud ont été deux planches de salut
parmi d'autres pour naviguer dans ma vie. J'ai touché,
grâce à eux, à d'autres terres qu'il me reste à
explorer. Je ne peux que les remercier de m'avoir,
malgré eux, à leur insu, aider à vivre davantage la
complexité de l'humain. "
(La vie médicale de Louis Destouches
(1894-1961), Etat actuel de nos connaissances, thèse de
doctorat de médecine, Université René Descartes, Faculté
Necker-Enfants malades, 1977).
* Victor BARBEAU (écrivain, philosophe,
journaliste et professeur québécois 1896-1994): "
Lorsque le docteur Destouches débarqua en Amérique sans
tambour ni trompettes, presque incognito et sans que la
République l'eût chargé de mission officielle, il était loin de nous être inconnu.
Voyage au bout de la nuit, vendu ouvertement, ne
le cédait en tirage qu'à
L'amant de Lady Chatterley, débité, quelques
années auparavant, sous le manteau. Le fait d'avoir été
recalé au Goncourt gonflait ses voiles. J'osai, pour ma
part en faire le sujet d'un cours en l'entourant de
toutes les précautions hygiéniques requises. Je le
trouvai, nous étions en mai 1938, à une assemblée de
chemises brunes, peut-être noires, taillées sur le
modèle européen et dont l'existence, m'apprit-il, lui
avait été signalée par un ami de New-York. Le " cher
maître " que je lui servis le fit s'esclaffer, et tout
de suite nous fûmes dans les meilleurs termes.
(...) Je l'amenai dans une maison amie boire le
coup de l'étrier, le "
night cap
" du Ritz. Les dieux m'aimèrent, ce soir-là, car nous
n'en étions encore qu'à notre première libation que,
soudainement, du soliveau qu'il avait été jusqu'à cette
heure, Céline se mua en le plus disert et le plus
pittoresque des compagnons. Pour le voir au naturel, il
avait suffit de le voir dans l'intimité. Ce fut pour
nous un nouveau Voyage
au bout de la nuit.
A cette différence cependant, que pas une seule fois il
n'emprunta pour le décrire la langue anarchique par
laquelle il s'était illustré. Pas un terme malsonnant,
malodorant. Il fut, au contraire, d'une correction
académique. "
(Aspects
de la France, 17 janvier 1963, dans BC n°198).
* Maurice BARDECHE
(écrivain, universitaire, biographe et polémiste,
1907-1998) : " Je me suis refusé de considérer Céline
comme un homme de droite. J'ai une idée des hommes de
droite, d'un idéal de droite, que je ne retrouve pas
chez Céline. C'est un nerveux, un homme inconscient de
ce qu'il fait : il se conduit comme un irresponsable. Je
ne dis pas non plus qu'il est un homme de gauche. Il ne
croit pas en l'homme, en la bonté de sa nature, en son
rachat ou en sa réconciliation
avec lui-même. Céline désespère de l'homme. (...) Ses
pamphlets, c'est primaire, ennuyeux, sans nuances.
Céline ne comprend rien aux Juifs, ne voit pas qu'il y a
toutes sortes de catégories de Juifs, dont il ne donne
qu'une image stéréotypée. Des remarques que je trouve
justes sur l'empoisonnement de l'âme européenne sont
exprimées dans des termes qu'on n'arrive pas à les
prendre au sérieux. Ses imprécations contre les Juifs,
ses demi-vérités, ses informations de troisième main,
ses falsifications talmudiques, tout cela est grotesque.
Même le style est flou. Je crois
qu'il a voulu essayer de représenter le Français moyen,
un peu ivrogne, racontant tout ce qui lui passe par la
tête. (...) Il s'est cru attaqué dans quelque chose de
plus profond que ce que recouvre le mot " celte ". Il
s'agissait plutôt, pour lui, d'un génie naturel du
terroir français qu'il retrouvait chez les lyriques du
XVe siècle, chez Villon, ou Marie de France. (...) Ce
lyrisme naturel et paysan, qui s'exprime dans les
comptines, les chansons, cette gentillesse du terroir
que la spontanéité de Villon lui paraissait représenter
assez exactement. "
(Enquête sur l'Histoire,
Entretien, 1987, E. Mazet, Spécial Céline n°7).
*
René BARJAVEL
(écrivain et journaliste 1911-1985): - Michel Polac : "
On m'a dit qu'il écrivait jusqu'à sept versions de ses
livres ? "
- " Oui, il a écrit sept versions
successives de Mort à
crédit. Et il faut se rappeler le texte de la bande
qu'il avait mis sur ce livre. Ses bandes étaient aussi
extraordinaires que ses titres. Il avait mis une phrase de
Jean-Sébastien Bach : " Je me suis énormément
appliqué à ce travail. Celui qui s'appliquera autant que moi
fera aussi bien. " Dieu sait si cela n'est pas vrai ! Mais
enfin, cela montre le côté acharné, appliqué, le côté
artisan de génie de Céline en ce qui concerne la langue. " (Emission
de Michel Polac, Bibliothèque de poche,
consacrée à Céline, 1969).
* "
Céline est le plus grand génie lyrique que la France ait
connu depuis Villon. Ferdinand et François sont des
frères presque jumeaux. Les frontières et les
régimes
politiques changeront et Céline demeurera. Les étudiants
des siècles futurs réciteront " La mort de la vieille
bignole " après " La ballade des pendus ", scruteront pierre à pierre les inépuisables
richesses de Mort à crédit, cette cathédrale et
s'étonneront d'un procès ridicule.
Vouloir le juger, c'est mesurer une montagne avec un mètre de couturière.
"
(Le Libertaire, 27 février 1950).
* Roland BARTHES (philosophe,
critique littéraire et sémiologue français 1915-1980) :
" Céline appartient à tout le monde. Il s'est trompé
seulement parce qu'il portait un regard littéraire sur
la réalité. Il transformait la réalité avec son langage.
Beaucoup d'écrivains viennent de lui. A commencer par
Sartre.
L'écriture de Sartre, ou, si l'on
préfère, sa " vision verbalisée ", vibre un peu de la
même façon que celle de Céline. L'œuvre de Céline, en
tout cas, me paraît douteuse, plus saine que celle d'un
Claudel. Et puis, qu'est-ce que l'engagement aujourd'hui
?
(F. Vitoux, Céline, l'homme en colère, Ecriture, 2008, p. 297).
* Jean BASTIER (professeur à l'Université des
Sciences Sociales de Toulouse): "
Voyage
commence par un récit du pire moment de la bataille de
Poelkapelle, l'instant de
la blessure de
guerre, reçue le 27 octobre 1914 au soir. C'est
l'impression de
guerre la plus marquante, la minute où Céline a connu la
proximité de la mort. Les époques se mélangent et se
chevauchent, il y a la Lorraine d'août et de septembre,
de l'herbe verte et des forêts sous le soleil, la soif
et l'épuisement des chevaux, et il y a le paysage
flamant d'octobre, liquide et humide, boueux et brumeux,
froid et pluvieux, et la bataille où Bardamu n'a plus de
cheval, il est à pied, en " cavalier démonté ", il court
sur le champ de bataille, de la course périlleuse de
l'agent de liaison, les obus explosent plus près de lui
qu'en Lorraine, il découvre l'odeur du soufre et cette
fumée qui brûle les yeux, ces bruits d'explosion
qui paraissent emplir tout l'univers fini..."
" Duperie, universelle
moquerie
"...Céline emploie à propos de la guerre les mêmes mots
que Drieu La Rochelle. Il se demande, comme Blaise
Cendrars, le légionnaire qui aura
la main coupée
en septembre 1915 : " Quand tout cela va-t-il finir ? "
Face à tant d'horreur, Bardamu répondra
par cette sorte
de fuite et de refus que constitue la folie. Comme
Moravagine de Cendrars ou
Siegfried de Giraudoux, Bardamu deviendra un fou
de la guerre. "
(Le
cuirassier blessé, Céline 1914-1916, Du Lérot 1999).
*
Hervé BAZIN
(écrivain 1911-1996): Le président de l'Académie
Goncourt : " Ce ne sont pas les meilleurs qui sont choisis,
ce sont ceux que nous considérons comme les meilleurs. On se
trompe. Si je ne m'abuse, un certain Mazeline a été désigné
contre Céline. "
(Ouest-France,
21 novembre 1989).
* Simone de BEAUVOIR
(de son nom complet Simone-Lucie-Ernestine-Marie
BERTRAND de BEAUVOIR, philosophe, romancière,
épistolière, mémorialiste et essayiste 1908-1986): " Le
livre français qui compta le plus pour nous cette année,
ce fut le Voyage au
bout de la nuit
de Céline. Nous en savions par cœur un tas de passages.
Son anarchisme nous semblait proche du nôtre. Il
s'attaquait à la guerre, au colonialisme, à la
médiocrité, aux lieux communs, à la société, dans un
style, sur un ton qui nous enchantait.
Céline avait forgé un instrument nouveau : une écriture
aussi vivante que la parole. Quelle détente, après les
phrases marmoréennes de Gide, d'Alain, de Valéry !
Sartre en prit de la graine. Il abandonna définitivement
le langage gourmé dont il avait encore usé dans
La Légende de la Vérité. "
(La force de l'âge,
Gallimard, 1960).
*
Jean-Jacques BECKER
(historien): " Publié au surplus plus de quinze ans
après les évènements, ce roman ne peut en rien être
considéré comme un reflet de ce que
furent mêmes les
sentiments des soldats de la Grande Guerre. On peut
douter d'ailleurs
que ce furent mêmes les sentiments de Céline, engagé
volontaire en 1913 à dix-neuf ans, rapidement
sous-officier, bien vu de ses chefs, même s'il fait de
certains des portraits très noirs, un soldat courageux
et calme - par une étonnante pirouette, il attribue son
calme à sa lâcheté ! bientôt blessé et décoré, au point
de faire la couverture de
L'Illustré National qui le prend pour prototype
du héros national.
Il serait d'un autre domaine de se demander
comment cet écrivain de génie s'est enfoncé dans la
haine de tout, y compris de lui-même, dans ce désespoir,
dans cette détestation de la société qui l'a conduit
bientôt à écrire les pires horreurs - un délire
antisémite qui n'était finalement que la matérialisation
d'une haine générale. Il n'y a pas de doute au surplus
que beaucoup de soldats pris dans le malstrom de la
guerre et dans des situations inimaginables, pouvaient
avoir des crises de désespoir, mais si la réalité avait
été celle décrite par Céline, comment expliquer que dans
leur immense majorité, ils avaient tenu plus de
quatre années ? "
(Extrait du livret qui accompagne le coffret " Voyage au
bout de la nuit ", lecture intégrale, Podalydès, Groupe
Frémeaux 2009)
* Marie-Christine
BELLOSTA (Maître de conférence en littérature
française à l'E.N.S.): " En résumant ce portrait du
saltimbanque Courtial, on s'aperçoit qu'il fait
apparaître un grand intérêt de Céline pour le cirque
sous tous ses aspects : Courtial
est un acrobate sauteur, il a la vivacité de geste d'un
" guignol ", il est aussi bateleur et prestidigitateur,
il fait ses tours avec un " arlequin " en concurrence
avec des trapézistes italiens, et il incarne Pierrot.
Presque toutes les variétés de saltimbanques que
Guignol's band I et II proposeront sont déjà
présentes dans le personnage de Courtial.
Or à travers
ce personnage Céline met en équivalence plusieurs
vocations, celle de pédagogue qui instruit ses
contemporains sur l'ordre du cosmos, celle d'inventeur,
et celle de saltimbanque. Par ses deux premières
fonctions, Courtial évoque l'image de l'auteur d'œuvres
littéraires ; impuissant à faire aboutir complètement
ses inventions, impuissant donc à changer si peu que ce
soit l'ordre du monde, il n'invente véritablement, comme
l'auteur, que des mots, et sa fonction, telle que Céline
la définit ne diffère en rien de celle d'un auteur
d'œuvres romanesques : " Telle était sa destinée, son
entraînement, sa cadence, de mettre l'univers en
bouteille, de l'enfermer par un bouchon et puis tout
raconter aux foules... "
(De
la foire au pitre, Colloque International de Paris,
27-30 juillet 1976).
* Johanne BENARD
(spécialiste de la littérature du XXe siècle, université
Queen's, Kingston, Canada): " Mais voyons d'abord une
lettre de 1932, qui montre bien comment le sexe de la
femme lui fait occuper une place différente dans le
triangle de la persécution. Céline, qui résiste encore
une fois au romantisme ou à la sentimentalité, gronde sa
destinataire comme une
enfant. - " Vous êtes un peu fâchée avec moi N... Je ne
parle pas assez d'amour. " Parlez-moi d'amour !... " Je
voudrais bien N... mais je ne peux pas. Je ne parle
jamais, je n'ai jamais parlé de ces choses-là. Je parle
de popo. Je comprends popo. Je mange popo. Je ne suis
bon qu'à popo. "
(Lettre
à Cillie Pam, 3 octobre 1932).
* On ne peut
trouver, je crois, un meilleur exemple du ton paternel
de la lettre amoureuse. C'est en tant que père et amant
que le sujet célinien célèbre le corps de la femme.
L'expression euphémique " popo ", pour désigner les
organes sexuels (de la femme ou de l'homme), n'est
phonétiquement pas loin de " papa ". Céline lui-même, du
reste, propose l'association, aux résonances œdipiennes,
dans la formule de clôture ; " Au revoir N... Je vous
embrasse bien comme je vous aime. Mais vous êtes une
méchante fille qui faites de la peine à papa-popo.
(Ibid.) "
(Surtout
quand on est femme, les Lettres de Céline " A des amies
", Actes du XIe Colloque International d'Amsterdam 5-7
juillet 1996).
* Jacques
BENOIST-MECHIN (écrivain, journaliste, historien,
homme politique, 1901-1983): cite dans ses
Mémoires
ce
propos de Céline : " Non, il n'y a pas eu de guerre
franco-allemande ! Cela crève les yeux ! En 1939, il y
avait peut-être quelque chose entre les Allemands et
les Pollacks, ou même - moi, je veux bien - entre les
Allemands et les Rouskis. Il n'y avait rien entre les
Allemands et les Français. Les Français se foutaient
comme de l'an quarante de Dantzig et du Corridor. Ils ne
voulaient pas se battre contre ces histoires vaseuses
(...) D'ailleurs, ils l'ont bien prouvé. Les verts
-de-gris sont entrés chez nous comme dans du beurre.
(...) S'il y avait eu une guerre franco-allemande,
croyez-vous que vingt millions de Français se seraient
débinés vers le sud et que les Gardes Républicains, ces
soldats d'élite, se seraient laissé faire prisonniers
par téléphone ! Ils auraient creusé des tranchées et se
seraient fait hacher sur place.
Nous n'étions pas concernés. Il y a eu une guerre
judéo-hitlérienne. C'est tout autre chose. Mais on s'est
bien gardé de nous le dire, parce qu'on ne voulait
surtout pas que ça se sache. La France a été entraînée
dans une guerre comme dans un coup fourré. Le pays l'a
senti confusément. C'est pourquoi il s'est rétracté. "
(Mémoires
II, page 356, dans BC n° 112).
* Henri BERAUD
(romancier et journaliste 1885-1958): " Mon cher
Henri BERAUD, / Nous n'en voulons pas aux juifs
en tant que Juifs. (C'est une race intelligente,
entreprenante, active, bien que folle dans le fond !).
Ce que nous leur reprochons, c'est de faire du RACISME.
C'est de ne s'être jamais prêtés chez nous - comme
partout - à ce mélange des races
dont Blum ose faire état quand il évoque ses ancêtres
gaulois ! C'est de nous mépriser. Un juif prendra avec
plaisir, pour maîtresse, Mlle Dupont ou Mlle Durand.
Mais quand il voudra se marier, c'est Mlle Jacob ou Mlle
Abraham qu'il épousera.
Ce
n'est donc pas nous qui l'excluons de notre communauté.
C'est lui qui s'en tient volontairement à l'écart, avec
une fierté méprisante - et ridicule. Blum à l'aplomb de
parler de religion, de prétendre qu'on persécute le juif
comme attaché à une foi, au même titre que le catholique
(en Allemagne par exemple) - Or, sur dix juifs, il y a
neuf agnostiques. (...) C'est en tant que race qu'Israël
nous turlupine, race orgueilleusement préservée de la
corruption - la corruption, c'est nous ! Que Mr Blum
nous cite un seul non-juif dans ses ascendants, s'il
l'ose ! Nous le tenons pour non français parce qu'il se
refuse, lui, et lui seul, à pactiser dans le fait avec
les français. Le jour où il lèvera cet interdit et se
fondera réellement dans le bloc national, comme les
bretons ou les provençaux, alors il n'y aura plus de
question juive... / Et vive Gringoire ! LF Céline. "
(Lettre au fameux éditorialiste de Gringoire, BC n°
250).
* Georges BERNANOS
(écrivain 1888-1948): " Pour nous, la question n'est pas
de savoir si la peinture de M. Céline est
atroce, nous demandons si elle est vraie. Elle l'est. Et
plus vrai encore que la peinture ce langage inouïe,
comble du naturel et de l'artifice, inventé, crée de
toutes pièces à l'exemple de celui de la tragédie, aussi
loin que possible d'une reproduction servile du langage
des misérables, mais fait justement pour exprimer ce que
le langage des misérables ne saura jamais exprimer, leur
âme puérile et sombre, la sombre enfance des misérables.
Oui, telle est la part maudite, la part honteuse, la
part réprouvée de notre peuple. Et certes, nous
conviendrons volontiers qu'il est des images plus
rassurantes de la société moderne, et par exemple
l'image militaire : à droite les Bons pauvres, gratifiés
d'un galon de premier soldat, de l'autre les Mauvais,
qu'on fourre au bloc... Seulement n'importe quel vieux
prêtre de la Zone, auquel il arrive de confesser parfois
les héros de M. Céline, vous dira que M. Céline a
raison. "
(Au
bout de la nuit, le Figaro, 13 déc. 1932, 70 critiques
de Voyage... Imec Ed. 1993).
*
Calixthe BEYALA
(romancière, auteur de Lettre d'une africaine à ses
sœurs occidentales): " J'aime beaucoup Louis-Ferdinand
Céline. Nous avons beaucoup d'atomes crochus, nous
utilisons une langue crue, authentique... "
(Amina, Paris, août 1995).
* Renzo BIANCHINI
(écrivain, romancier 1922-2000): " Véritable
révolutionnaire de la littérature dans les années 1970,
Renzo BIANCHINI avait choisi de vivre dans
le
Gers. Il s'y est éteint il y a quelques jours. Un
soir, en ce milieu d'été
Renzo
BIANCHINI,
à 77 ans, est parti rejoindre ses amis Alphonse Boudard,
Maria Cazarès ou encore Jean-Louis Bory. Dans les années
1970, il avait révolutionné le monde de la littérature
avec Les pue la mort.
Ce roman qui parlait de l'Afrique avec une certaine
allégresse malgré le titre, avait séduit la critique qui
avait décelé dans le style de cet auteur un nouveau
Louis-Ferdinand Céline.
Ce pur et dur parisien du 2ème arrondissement
ne quittait plus le Gers.
Renzo BIANCHINI
ne refusait pas le Monde, mais ne l'acceptait plus. Il
passait ses journées à sa table de travail, forgeant les
mots et les phrases en ayant opté, sur la fin, pour un
style moins hermétique. Quelques heures avant sa
disparition il corrigeait encore une page rédigée le
matin. L'ancien acteur, comme Molière quittant la vie
sur la scène, s'est éteint à sa table de travail, au
milieu de son univers de mots. "
(J.M.D.ladepeche.fr
, Gers, 21 août 2000).
*
André BILLY (écrivain, romancier, critique
littéraire, académicien et prix Goncourt, 1882-1971): "
Copenhague, 22 octobre 1947, / Mais non, satané damné
con, ce n'est pas de grossièreté qu'il s'agit, mais de
transposition du langage parlé en écrit ! / Vous dire
merde, ce n'est rien...Vous bottez le cul pas
grand-chose...mais faire passer tout ceci en écrit,
voilà l'astuce... l'impressionnisme ! / Ah ! que vous
êtes loin du problème. Allez, signez des listes noires !
des proscriptions, mouchardez ! flinguez ! bourriquez !
Vous n'êtes bon qu'à ça ! / L-F. Céline. "
(Réponse à l'article du 11 oct. 1947, le Figaro
littéraire).
*
Paul-Henri BLANRUE
(écrivain, DEA en histoire): " L'auteur de
Rigodon a souvent montré le caractère hypnotique
de la
musique,
en particulier au tout début du
Voyage au bout de la nuit, lorsque Bardamu,
tranquille " anar " sirotant place Clichy, se décide
soudain, envoûté, charmé comme un serpent, à suivre une
fanfare militaire, qui le conduit tout droit à la
caserne et à la guerre de 14. " Dans le récit célinien
la musique intervient en des points qui mettent en scène
une désarticulation du réel, qu'il s'agisse de la "
folie " qui poursuit le trépané ou des histoires de
folie que sont les guerres qui parcourent le vingtième
siècle et dont Céline s'est voulu le " chroniqueur ".
" Ainsi qu'on a pu le lire dans
Mort à crédit, la singulière écoute célinienne de
la musique est liée à son expérience malheureuse de la
guerre, elle est en lui l'empreinte que la guerre a
laissée, son sceau, blessure et détraquement du corps ",
écrit François Bruzzo (Francofonia
n° 22, printemps 1992). Il en va de même dans
Les Bienveillantes, où la musique indique un
tracé, un chemin de fer dont il semble difficile de se
détourner. "
(Les
Malveillantes, Enquête sur le cas Jonathan Littell, Ed.
Scali, 2006).
* Evelyne BLOCH-DANO
(écrivain, agrégée de lettres modernes, journaliste): "
La maison n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était ",
m'a prévenu François Gibault. Elle a brûlé en 1968.
Pourtant, je la reconnais. Un peu moins délabrée,
certes, des
fenêtres neuves, un portail grand ouvert, mais
l'impression est la même : l'abandon. Nous avons
rendez-vous dans la matinée, Mme Destouches dort. On
nous a autorisés à venir pendant son sommeil. Agée de 94
ans, elle habite toujours route des Gardes. Nous faisons
le tour de la propriété. On risque un coup d'œil par les
fenêtres. Des ustensiles exotiques, une cage avec un
perroquet. Tiens ! Serait-ce Toto, l'affreux Toto, le
perroquet de grade, perché sur l'épaule de son maître
qui lui avait appris à chanter
Dans les plaines de l'Asie centrale de Borodine,
et qui chassait les visiteurs à coups de bec ?
Une voiture remonte l'allée, c'est Marie-Ange,
la jeune femme qui s'occupe de Lucette Destouches depuis
plus de dix ans. Elle nous invite à entrer pour nous
réchauffer autour d'un café. On mesure le degré de
mythification d'un auteur à l'émotion étrange qu'on
ressent à pénétrer chez lui. Le temps, la mort, ont
transformé la visite en intrusion pieuse. J'ai beau
savoir qu'une partie des lieux a changé, que le bureau a
quitté le coin de la salle pour migrer dans la cuisine ;
j'ai beau haïr l'antisémite qui appelle à la haine et
hurle avec les loups ; j'ai beau distinguer un grand
écrivain d'un grand styliste (c'est la dimension de
l'homme qui fait la différence), je suis impressionnée.
Pour un peu, on baisserait la voix. "
(Céline
à Meudon, Images intimes, Ed. Ramsay, 2006, Magazine
littéraire 2007).
*
Isabelle BLONDIAUX (médecin psychiatre a soutenu une thèse de
littérature sur Céline): " L'étude du vocabulaire de l'hystérie favorise
encore un mode d'abord privilégié de l'imaginaire célinien. Certains des
réseaux thématiques auxquels se rattache l'usage de ce lexique dans
Féerie pour une autre fois sont connus depuis
Voyage au bout de la nuit
tandis que d'autres sont inédits dans les romans. Dès le début de
l'œuvre, par exemple, l'hystérie, marquée très fortement chez Céline par
la double passion de nuire et de jouir, est chez l'écrivain spécifique
d'une certaine représentation de la femme caractérisée par l'excitation
sexuelle, le sang, et son corrélat obligé, les tendances meurtrières.
Tel est, dans
Voyage, le personnage d'une Madelon, devenue hystérique et
meurtrière parce que son Léon la repousse, prétextant un dégoût de
l'amour, ou dans une perspective contrapuntique, celui de la jeune femme
de vingt-cinq ans au " Rien d'hystérique " mourant de l'hémorragie
provoquée par un troisième avortement clandestin, assassinée par une
mère incurique tout entière absorbée par la théâtralisation du désastre.
"
(Le vocabulaire de l'hystérie dans
Féerie et les versions préliminaires, Colloque de Paris, 1994).
*
Antoine BLONDIN
(écrivain, romancier et journaliste, 1922-1991): " La
bibliothèque de la Pléiade, consécration suprême,
vient de publier en un seul volume les romans de Céline,
inspirés par ses séjours et errances dans l'Allemagne
enflammée de 1944 à 1945. Ainsi rassemblés, ils constituent
une trilogie parfaitement cohérente où la célèbre petite
musique de ce Wagner du quotidien trouve des accents exaltés
pour colorer le Crépuscule des Hommes...
Au fil de sa parution, cette
trilogie marqua pour beaucoup de lecteurs la résurrection
d'un Céline considéré comme l'un des plus grands romanciers
de ce siècle. Dans sa continuité, elle nous confirme l'unité
d'une œuvre amorcée en fanfare par
Voyage au bout de la nuit dans le bouleversement de
1914 et achevée par
Rigodon dans le fracas de 1945. Elle pourrait
s'intituler : D'une guerre l'autre. "
(France-Soir,
31 mai 1974).
* Allan BLOOM (philosophe américain 1930-1992): "
Le seul écrivain qui n'offre aucune prise au charcutage
de nos critiques marxistes,
freudiens, féministes, déconstructionnistes ou
structuralistes, qui ne propose à nos jeunes ni pose, ni
sentimentalité, ni soporifiques, est justement celui qui
a le mieux exprimé la façon dont la vie se présente à un
homme prêt à s'interroger courageusement sur ce que nous
croyons et ce que nous ne croyons pas : Louis-Ferdinand
Céline.
C'est un artiste beaucoup plus doué et un
observateur beaucoup plus perspicace que Thomas Mann ou
Albert Camus, pourtant bien plus célèbres que lui. "
(L'âme
désarmée, Julliard, 1987).
* Léon BLOY
(romancier 1846-1917): " Léon BLOY écrivant dans
Le Sang du pauvre
: - " Je vis, ou pour mieux dire, je subsiste
douloureusement et miraculeusement ici, en Danemark,
sans moyen de fuir, parmi des protestants incurables
qu'aucune lumière n'a visité depuis bientôt quatre cents
ans que leur nation s'est levée en masse et sans hésiter
une seconde à la voix d'un sale moine pour renier
Jésus-Christ..."
Un demi-siècle plus tard, écrivant de la prison à sa
femme, Céline n'était pas plus indulgent pour ses hôtes
: - " Nous avons affaire à d'épouvantables danois
hypocrites - Toute la férocité des vikings, le mensonge
des juifs et l'hypocrisie des protestants - des monstres
sans pareil. " Qui peut nier, après avoir lu ces lignes,
l'existence de fils invisibles entre ces deux hommes ? "
(François Gibault,
Céline-Bloy, Du Lérot, 2005).
* Gwenn-Aël BOLLORE
(écrivain, poète, PDG des Ed. de La Table ronde,
1925-2001) : " Je ne
connaissais pas Céline avant la Libération, je n'avais
aucun devoir d'amitié envers lui " précise
l'écrivain breton qui n'a " jamais rencontré "
l'ermite inquiet de Meudon. Et de raconter avec un
détachement anglo-saxon, comment son épouse, Renée
Cosima, et leur fille, Anne, suivaient les cours de
danse de Lucette Destouches, deux ou trois fois par
semaine, dans la villa de l'écrivain, " assises dans
l'entrée, emmitouflées de couvertures et surveillant
tout ", "
tutoyant pratiquement tout le monde ". Un "
modus vivendi sans rancœur
" séparait ces deux mondes marqués par la guerre. "
Un jour, Céline dit à ma femme : " J'ai
besoin d'argent, je vais vendre un manuscrit. N'en parle
pas à ton mari qui est trop entêté, mais je crois que
son frère Michel est bibliophile ". Ce dernier ne
proposa qu'une " somme dérisoire ", environ le
cinquième de la valeur de Nord. Piqué au vif,
Céline retira son offre et la présenta comme une
vengeance à Gwenn-Aël BOLLORE, qui dépensa "
au moins le prix d'achat
" pour faire relier le lourd manuscrit en quatre tomes
par son relieur attitré, l'original Mercher (une phrase
court sur les quatre plats de maroquin vert janséniste :
" Docteur Destouches / 4, rue Girardon / ne nous a
semblé atteint / d'aucune affection transmissible
".)
" Je l'offris à mon épouse
(...). Entretemps Céline avait écrit sur une page de
garde : " Ce manuscrit appartient à Renée Bolloré ",
pour bien montrer quel rôle subalterne j'avais rempli
dans cette affaire ". note avec humour l'acheteur
malgré lui, qui, selon son ami fidèle, l'éditeur Jean
Picollec, " tenait quand même Céline, ce Breton de
Saint-Malo, en haute estime, pour son talent qui ne se
pliait pas dans le tiroir des bien-pensants ". Sa
cadette, Anne Bolloré-Laborde, a gardé un autre
souvenir de ce " couple Destouches hautement
antipathique " et celui, franchement déplaisant, de
ses visites à Meudon, où Céline, " hâve, vêtu d'un
gilet en peau de bête qui rappelait le pelage des deux
bergers allemands couchés à ses pieds (...) ne
communiquait qu'en exprimant sa haine ".
(La manuscrit
de Nord en vente publique, Valérie Duponchelle, Le
Figaro, 14 décembre 2001, BC n° 227, 2002).
* Nicolas BONNAL (écrivain,
essayiste) : " On fête les cinquante ans de Céline, plus
grand écrivain et poète français du
siècle
dernier, au moins pour son Voyage si
prémonitoire, dont la moitié de phrases contiennent un
octosyllabe ou un alexandrin. Mais j'ai envie de citer
quelques phrases des pamphlets. Je n'ai aucune envie de
défendre ou de justifier Céline. Mais on ne m'empêchera
pas de le lire en ligne et de citer de lui ces propos
suivants, qui le rapprochent des grands écrivains et
philosophes critiques de la modernité. Ils sont tirés
pour l'essentiel des Beaux draps, le meilleur et
le moins agressif des ses pamphlets justement
diabolisés. Comme Péguy, Duhamel, René Clair ou Charlot,
Céline dénonce la " standardisation robotisation
insensibilisation nivellement artistique ".
L'homme des pubs est aussi
une machine politique à revendiquer des " droits " : "
Ils veulent rester carnes, débraillés, pagayeux,
biberonneux, c'est tout. Ils ont pas un autre programme.
Ils veulent revendiquer partout, en tout et sur tout et
puis c'est marre. C'est des débris qu'ont des droits. Un
pays ça finit en " droits ", en droits suprêmes, en
droits à rien, en droits à tout, en droits de jaloux, en
droits de famine, en droits de vent. "
(Les quatre
vérités, 4/7/2011, Le Petit Célinien).
*
Philippe BONNEFIS (écrivain, auteur d'un essai "
Céline : le Rappel des oiseaux " ): " Je vous
confesse que j'aime ce sous-titre.
Mais, dans le fait, la confession ne me coûte guère, le
sous-titre n'est pas de moi ! Je l'ai volé à
Jean-Philippe Rameau. Chez lequel, en effet, c'est le
titre d'une pièce de clavecin. Ce bref excursus pour
rappeler (le mot décidément ne veut pas partir) la place
qu'occupent les œuvres de Couperin de Rameau dans le
fantasme de " francité " qui habite Céline. "
Moi qui suit
le dernier des Français, le dernier qui sache encore ce
que c'est que la langue française, je suis l'oreille, en
même temps, où se sont recueillis les derniers accents
des clavecins et des violes qui, de leurs harmonies,
enchantèrent les plafonds de Versailles. "
(La
Quinzaine littéraire, 15 juillet 2009).
* Jean-Louis BORY
(écrivain, journaliste et critique cinématographique,
1919-1979): " C'était avant le déluge - vraiment. Avant
la guerre. J'avais quel âge ? Dix-sept
ans ? j'étais en
khâgne à Henri IV, un copain m'apporta le
Voyage, je crus recevoir
sur la nuque une charretée de briques. A cette époque,
j'appartenais aux " Etudiants Révolutionnaires " :
j'avais une carte rouge et l'impatience de la
jeunesse...Ce fut ce vent d'orage. L'hypocrisie pateline
de la colonisation ; l'ignominie de la guerre ;
l'omnipotence du fric ; l'égoïsme niais de la
bourgeoisie ; le vent balayait ces cloaques maximes de
notre chère civilisation blanche et chrétienne.
Tempête si furieuse que des paquets d'ordures vous
sautent au visage - furoncle qui éclate, égout qui
crève, le torrent écœure mais son jaillissement soulage,
libère, venge. A plus de vingt ans de distance, le
Voyage est resté pour moi ce roman-corsaire -
puissant vaisseau battant pavillon noir, crachant la
mitraille par tous ses sabords, à la proue duquel, cloué
comme une chouette à la porte d'une grange, hurle, bave,
gesticule, l'œil sauvage, le forcené petit toubib de
banlieue. "
*
Alphonse BOUDARD
(romancier 1925-2000): " A partir du moment où j'ai lu Céline, où j'ai
compris Céline, je me suis dit : " La littérature n'est pas une
chose fermée. " J'ai trouvé chez lui un langage qui venait de la rue,
qui n'était pas celui des livres que j'avais lus jusque là (...) On est
en taule, il fait froid, on a faim - c'était dur, tu sais la prison à ce
moment-là - et on lit tout d'un coup
Voyage au bout de la nuit, qui est un livre d'un pessimisme
total.
Mais ce qui vous tient, ce n'est pas le reste. Un truc mièvre,
con, qui te met du baume au cœur pour te raconter la vie, un roman plein
d'espoir, où tout va bien, ça tombe à côté... En tout cas, en ce qui me
concerne. "
* Pierre BOUJUT
(poète, tonnelier, pacifiste, libertaire 1913-1992): "
Puisque Céline devient de plus en plus à la mode et que,
dans tous les coins de la caverne
littéraire, les
critiques le placent au sommet de la stylistique
française, j'ai pensé que nos amis auraient plaisir à
connaître la lettre qu'il m'adressa en 1936. Je dois
dire que j'ai toujours admiré sa verve pamphlétaire et
sa musique verbale, son style trépidant et le ton
presque toujours inspiré de ses écrits. Il est pour moi
le
poète-prophète, même si je ne suis pas d'accord avec
certaines de ses imprécations et si sa haine délirante
contre les juifs me paraît une totale aberration. Je
l'aime comme j'aime Nietzsche. Ce sont mes
frères-ennemis.
Donc je lui avais
écrit en janvier 1936. je venais de lire avec
enthousiasme son
Voyage au bout de la nuit et je lui disais qu'à
travers sa vision désespérée de l'existence, je sentais
passer quelques moments de tendresse sur lesquels il me
semblait possible de fonder ma confiance en
l'homme et en l'avenir. Voici ce qu'il me répondit de
Saint-Germain-en-Laye, le 7 janvier 1936, avec son
écriture si difficile à déchiffrer : - " Cher Monsieur,
/ Je suis bien de votre avis en toutes choses. Mais je
suis croyez-le tout à fait incapable de faire autre
chose que mon guignol. J'ai 1000 offres d'autre chose...
Je ne sais rien faire d'autre... Et encore peut-être
?... sorti de l'espèce d'action où je me limite, je ne
suis qu'un pauvre bafouilleux encore beaucoup plus
inconsistant que ses pareils. / Il ne faut pas
voyez-vous s'occuper de l'Homme, jamais. Il n'est rien.
Il est guetté par trop de choses. Si temps en temps il a
un peu d'esprit, tenez-le quitte le malheureux ! cela
suffit ! Il en a bien du mal ! Paix à son âme !
Affectueusement à vous. / L.F. Céline. "
(La
Tour de Feu, 132, Réalité ou imaginaire, décembre 1976).
* Mourad BOURBOUNE (écrivain
algérien de langue française) : " Il faudrait être
atteint de myopie intellectuelle ou tout simplement
manquer de courage pour ne pas reconnaître en Céline un
des plus importants écrivains de notre époque.
Son
œuvre est de celles qui
fracassent une langue et lui donnent une peau neuve. Les
idées et les attitudes politiques de l'homme que nous ne
saurions ni justifier, ni même tout simplement oublier
ne peuvent nous interdire de rendre hommage à la force
et à la puissance qui façonnent son
œuvre... "
(E. Mazet, Spécial Céline 7,
nov-déc. 2012 - janv. 2013).
* Pierre
BOURGEADE (homme de lettres, romancier, dramaturge,
poète, scénariste, journaliste 1927-2009) : " On est
atterré à la pensée que les juifs, si nombreux dans la
presse, à la radio, à la télévision, laissent se
développer sans un mot de protestation la campagne qui
tend aujourd'hui à réhabiliter moralement Céline,
campagne à laquelle participent nombre d'entre eux. Ce
silence crève le cœur. "
(Le Quotidien de Paris, 20
novembre 1981, dans BC n° 1).
*
Robert BRASILLACH (écrivain 1909-1945): " Jamais
esclave, ni d'une technique, ni d'une morale, ni d'une
politique, Céline a commencé avec le
Voyage sa sombre vitupération d'un univers sans
Dieu, et, en le faisant, il a prédit d'avance les
catastrophes inscrites dans le ciel au-dessus de
l'édifice vermoulu. Il fallait que quelqu'un se dressât
pour dire non aux mensonges de notre civilisation et
pour brosser d'avance les visions de l'Apocalypse.
Le Voyage
est une épopée noire, charbonneuse et souillée, où
l'homme moderne est magnifiquement insulté par un poète
au cœur forcené, qui n'a peut-être jamais cru qu'aux
enfants. "
(En
relisant le Voyage, Révolution nationale, Paris, 25
septembre 1943).
* Jacques BRENNER (critique
littéraire, romancier, essayiste, 1922-2001): " Je n'ai
rencontré qu'une seule fois Céline. Sans me faire
annoncer, j'étais allé frapper au bureau qu'occupait
Nimier chez Gallimard. Céline se trouvait là. Nimier me
dit cependant d'entrer. Céline se tenait tassé dans un
fauteuil, la tête rentrée dans les épaules. Il avait un
maintien modeste et paraissait très fatigué. Nimier me
présenta comme l'auteur de comptes rendus très
favorables de Féerie et de Casse pipe.
Céline avait sans doute oublié mes articles. Il répéta
d'un ton dubitatif : " très favorables " et il ajouta :
" Oh ! les critiques ne me gâtent guère. " Il le dit sur
un ton qui me rappela l'acteur Carette qui s'illustra
dans les rôles de titi parisien. Mais le visage de
Céline était celui d'un comédien tragique et je pensai à
Antonin Artaud.
C'était en 1957. Les premiers
exemplaires de D'un château l'autre venaient
d'arriver dans la maison et Nimier en avait quelques-uns
sur la table. Il demanda à Céline s'il voulait bien m'en
offrir un. Céline accepta et il écrivit sur la page de
garde :
M. J. Brenner
Bien Amical
L. Ferdin
Vous vous doutez que j'ai conservé le volume. Les deux
premières lignes sont d'une haute écriture, nette et un
peu appliquée. La signature d'un tracé très négligé. "
(Jacques Brenner, Mon histoire de la littérature
contemporaine, Grasset, 1987, p.721).
* Théophile BRIANT (poète breton 1891-1956): Au grand
poète breton, ami de Céline, directeur du
Goëland, (feuille de
poésie
et d'art), à quelques mois de la guerre qu'il pressentait
lucidement...
" Saint-Malo, le quatrième an
d'Apocalypse. / Mon cher
Théo ! / Puisque les poètes ont retrouvé leur Duc,
BRIANT-le-Prodigieux, et leur patrie Goëlane aux marches
de l'Atlantide, permets que je m'inquiète des archives
sauvées... / Depuis des ans déjà j'erre, je quière et je
fouille et me laisse de jour et de nuit à mander... Les
Légendes et le Braz et la Mort où sont-ils ?... Puis-je les
obtenir au prix d'or et de sang ? / L'écho est muet, Théo
! Les libraires sont hostiles. Le Braz est inconnu, les
vélins hors de cours, les héritiers atroces, l'éditeur sous
les flots... Le temps, la mer, le vent, les protêts, leurs
sorcières, la horde des malheurs, la fatigue et la honte ont
englouti nos rires, nos tendresses et nos chants et le Braz
et sa lyre... et le moindre feuillet du plus celtique
message. / Au secours, Théophile, les légendes se
meurent ! / Les charniers sont ouverts ! Au trépas de vingt
siècles les bourreaux roulent et cuvent ! mufles et goinfres
au massacre chancellent sous les armes ! Bientôt le moment
rouge et la foudre du monde ! / Saccage ! / Aux dédains et
l'oubli vengeance du Poème ! / A toi. / Louis-Ferdinand
Céline. "
(Lettre de
Saint-Malo, février 1944, Cahiers de la NRF).
* François BRIGNEAU (de son vrai
nom Emmanuel ALLOT, écrivain, journaliste,
éditeur, 1919-2012) : " J'avoue ne pas apprécier
beaucoup le bonhomme Destouches... le déballonnage de la
fin... la pleurniche de Meudon. Je le regarde avec le
regard d'Arletty, comme Marc-Edouard Nabe le raconte
dans Tohu-bohu.
"
(F.
Brigneau 75 ans... Un cahier anniversaire, Mes derniers
cahiers, 1994).
*
Après avoir évoqué les chansons fredonnées à l'époque,
François BRIGNEAU relève que
" c'est plus agréable à écouter que les voix graves et frémissantes des prophètes de
l'apocalypse. Céline, par exemple. Son dernier pamphlet
n'a pas franchi le mur du silence. Il porte pourtant un
titre rugissant : L'Ecole des cadavres, et, en
exergue, une phrase qui hantera beaucoup d'entre nous
durant les années qui vont suivre : " Dieu est en
réparation ". D'entrée de jeu, il annonce la
situation, sans précaution, sans ménagement : " Aucune
dramatisation... Nous sommes pour ainsi dire en guerre.
Pas besoin d'en rajouter, on y est dans " la der des der
"... Nous sommes déjà dans la danse... Les Démocraties
veulent la guerre. Les Démocraties auront la guerre
finalement. Démocraties : Masses aryennes domestiquées,
rançonnées, vinaigrées, divisées, ahuries...
Que
la guerre s'avance, adorablement préventive,
providentielle ! Après la bave, le sang. Une boucherie
punitive dont on parlera dévotieusement, extatiquement,
dans les chaumières aryennes pendant vingt siècles
encore. Tous les prétextes seront valables... N'importe
lequel suffira pourvu qu'il emporte les masses aryennes
fanatisées vers les gigantesques massacres, qu'il
détermine sans réticences possibles, l'extermination
enragée des peuples les plus militaires d'Europe... "
(National-Hebdo, juillet 39, le dernier été de la paix, n°262, 27 juillet
1989, BC n°87, novembre 1989).
*
Michel BROSSEAU
(docteur es lettres, enseignant, écrivain): " Céline,
dès ses débuts de romancier, présentait la littérature
digne de ce nom comme un questionnement. Restait à
définir quelle était la principale question posée par
l'ensemble de l'œuvre romanesque célinienne. Celle-ci
nous est apparue être celle du Sens, entendu comme
direction et signification données à une vie d'homme.
Quelle place reste-t-il en effet pour le Sens chez ces
personnages qui, de Bardamu à Céline, évoluent dans un
univers où règnent mort, haine et culpabilité ?
Inquiets,
paranoïaques, bouc émissaires sans cesse sur la brèche,
les différents héros-narrateurs céliniens (Bardamu dans
Voyage, Ferdinand dans
Mort à crédit et Guignol's band, et enfin Céline
dans les romans d'après-guerre) apparaissent animés par
une nécessité interne de malheur, torturés par la
fatalité de l'échec, prisonniers d'un monde saturé de
matière, tourmentés par une incessante imagination de
leur mort. Cohésion d'un imaginaire qui vient souligner
l'incohérence d'un monde où le seul principe
organisateur qui ait encore sa place est ce destin qui
mène au pire, toujours plus bas, plus loin dans la nuit.
"
(Le héros romanesque
célinien face au sens, thèse de doctorat, mai 1997,
Année Céline 1997).
* Gabriel BRUNET
(critique littéraire): " oh ! J'ai beaucoup de querelles
à chercher à M. Céline. Pourtant, je m'intéresse à ses
livres, non point à titres d'ouvrages qui
doivent
représenter la norme de la littérature, mais à titre
d'exceptions quasi monstrueuses
où se révèle, bon gré mal gré, une manière de génie
gauche et barbare, fort souvent pesant et ennuyeux, mais
génie tout de même ! Il faut quelques livres comme ceux
de M. Céline pour battre en brèche la fade littérature
académique à qui il faut souhaiter le sort de ces âmes
que vomit l'enfer parce qu'elles ont passé dans la vie
sans y avoir fait acte d'être vivant. Ainsi la
littérature académique traverse ce terrible monde sans
trouver d'intense accent ni pour la réalité ni pour le
rêve, ni pour la joie ni pour la douleur.
J'ai dit de ce livre qu'il est apparu
brusquement dans notre littérature d'aujourd'hui comme
un roman-typhon qui balaie tout sur son passage ; j'ai
dit qu'il flamboyait d'une cruelle ivresse qui en fait
une épopée de la hargne ; j'ai dit qu'en un sens, ce
livre est notre Odyssée, l'épopée d'aventures d'un monde
infernal : le nôtre. Notre Ulysse, hélas ! c'est
peut-être Bardamu ! Le
Voyage au bout de la nuit
était une réussite unique : ce livre restera à jamais
attaché au flanc de notre époque comme le châtiment
qu'elle a mérité à la face de tous les siècles à venir.
Mort à crédit n'a pas, je le crois, la puissance
irrésistible d'enlèvement du
Voyage, ni son étonnante allégresse dans le
burlesque. Mais il garde la même passion acharnée pour
les vérités que d'aucuns dénomment " les vérités qui ne
sont pas bonnes à dire ".
(L'épopée
dégueulasse de la nausée et du dégoût ! Le cas Céline,
Je suis partout, 6 juin 1936, dans les critiques de
notre temps et Céline, Garnier, 1976).
*
Yves BUIN
(écrivain, médecin pédo -psychiatre et critique de
jazz français): " A Soho, il peut exprimer sa passion du
music-hall et du bastringue et, surtout, telle que
la
découvre Geoffroy : sa passion de la danse et des
danseuses. (...) C'est dans
ce contexte que se situe la rencontre avec Mata-Hari,
entre réalité et imaginaire. Venant de Hollande et
passant par Londres en vue de rejoindre la France,
Mata-Hari cherche à obtenir un visa au consulat. Son
dossier atterrit entre les mains de Geoffrroy et de
Louis qui, sous couvert de précisions à recueillir,
prennent rendez-vous avec elle.
Elle les convie au
Savoy Hotel
où elle réside. Selon Geoffroy ce fut un dîner suivi
d'une nuit à trois et dont l'intrigue se reproduisit en
une sorte de brève liaison. De son côté Céline n'en
parlera jamais, sauf à Lucette Almanzor, en semblant
confirmer la soirée du
Savoy. Frédéric Vitoux a reconstitué le séjour de
Mata-Hari à Londres. Arrivée le 30 novembre, elle logea
au Savoy durant
trois jours avant de se rendre à Folkestone où, après un
interrogatoire sérieux, elle put prendre le bateau pour
Dieppe le 4 décembre. Trois jours donc, pas plus pour
initier une relation avec cette femme rouée, avertie,
qui possédait l'art de la séduction et de l'amour.
Pourquoi pas ? Avec en prime, pour la postérité, Céline
amant de passage, certes, mais amant de Mata-Hari. C'est
dire le tourbillon, l'imprévu de Londres. "
(Céline, Gallimard 2009).
* Charles
BUKOWSKI (écrivain américain d'origine allemande
1920-1994): " Avec
Pulp, publié quelques mois avant sa mort,
Charles BUKOWSKI rend hommage au roman noir et
à... Céline. Livre drôle et douloureux où l'auteur
condamné par la
leucémie, met en scène sa propre mort. - " La mort, les
femmes, la littérature... et la vie dont il a tant
souffert : Pulp
est une parodie de roman noir où s'entrecroisent les
passions et les craintes qui ont fracturé son existence.
Coursé par une extraterrestre et hanté par un
certain moineau écarlate,
BUKOWSKI
laisse se déchaîner son énergie, sa poésie. Le délire
est burlesque, parfois inquiétant, une dernière
fanfaronnade avant d'y passer. Un bras d'honneur, ou
plutôt un doigt tendu, le geste obscène qui humilie que
lui assène Céline lorsqu'il lui échappe une fois de
plus. "
(J.P.
Pennaneac'h, Pulp, Grasset, 1995).
*
Roland CAILLEUX
(médecin et écrivain 1908-1980): " (...) Alors de la
pitié pour Céline, je veux bien, mais c'est pas moi qui
l'aie obligé à faire de la politique, il n'avait qu'à
rester médecin comme moi, il paie un peu trop sa
connerie, c'est vrai, mais pourquoi a-t-il été si con ?
Il gémit aujourd'hui dans Arts parce qu'il s'est
trompé de cas. C'est un comble. Il voudrait la place de
Mauriac, il est écœurant.
(...) Ceci dit, et les choses mises un peu au
point, je me sens tout à fait à l'aise pour parler de
mon admiration pour notre plus grand écrivain vivant, je
vais faire une conférence à Cambridge sur lui. (...)
Oui, l'arrivée de Céline a été un grand moment de la
littérature française. "
(Archives Cailleux, 19 juin 1957).
*
Louis CALAFERTE (écrivain 1928-1994) : " J'ai découvert
l'œuvre de Céline pendant la guerre, avec une admiration
sans
borne. Il ne m'a pas influencé, je ne sais pas pourquoi
d'ailleurs, car il aurait dû. Il y a dans son œuvre un
apparent refus de l'idée alors que je suis séduit par le jeu
des idées. Mais en tant qu'écrivain, c'est un des très
grands, un des sommets du siècle avec Proust.
Je passe sur son action
politique, c'est tout à fait autre chose, c'est innommable.
Ca fonctionne mal aussi, ça. Quand les écrivains font de la
politique, à tous les coups, ils déconnent. Ca va de
Châteaubriand, Lamartine, Céline, à Malraux et compagnie. Il
y a un dérapage de la pensée, il faut croire que la création
ne va pas de pair avec l'acte politique, l'acte d'action
immédiate. "
(Les
Inrockuptibles).
*
Albert CAMUS (écrivain, dramaturge 1913-1960): "
Toujours en train de dire aux gens ce qui est bien, ce qui
est mal, ce
qu'ils devraient faire et ce qu'ils ne devraient pas
faire... se marier... c'est l'Eglise qui doit faire ça... "
(L-F Céline).
* "
La justice politique me répugne. C'est pourquoi je suis
d'avis d'arrêter ce procès et de laisser Céline tranquille. Mais vous ne m'en voudrez pas d'ajouter que l'antisémitisme,
et particulièrement l'antisémitisme des années 40, me
répugne a
aura obtenu ce qu'il veut, qu'on nous laisse
tranquille avec son " cas ".
(Le Libertaire, janvier 1950).
* Francis CARCO (de son vrai nom François
CARCOPINO-TUSOLI, écrivain, poète et journaliste
1886-1958): " Céline ne l'appréciait guère et le
confondait avec Dorgelès dans le même mépris : " Ces
deux minables sont aussi croquants que rats. Encore
et toujours épatés d'avoir découvert Bourget, la Butte,
la guerre, le milieu, Paris ! Ils n'en reviennent pas et
n'en reviendront jamais ! " (Lettre
à Jean Paulhan 1949).
Il ne supportait pas qu'on
le comparât à lui. " Moi, je paye avec ma peau ! C'est pas des historiettes de seconde main à la CARCO
! (Lettre à Antonio
Zuloaga). L'individu n'était pas davantage estimé
: " Commandeur de la légion d'Honneur, une belle vache,
Fromage blanc on l'appelle dans le milieu. "
(Lettre
à Pierre Monnier 1950).
* " L'homme n'était pas toujours sympathique
: en 1940, il était loin de partager le pétainisme de
son cousin Jérôme Carcopino, ministre de l'Education
nationale. Mais quand il choisit, en décembre 1942, de
s'exiler en Suisse afin de protéger son épouse juive, il
fit tout de même appel à ses relations vichystes. Et les
oublia au retour, en 1944, préférant profiter des
faveurs d'Aragon, devenu l'une des puissances
littéraires du moment. Il collabora régulièrement aux
très communistes Lettres françaises. Contrairement à deux de ses
confrères " résistants " de l'académie Goncourt
(Dorgelès et Billy), il refusa de signer la pétition
demandant la grâce pour Robert Brasillach. Cinq ans plus
tard, sollicité par un ami commun (J.G. Daragnès), il
refusa aussi d'intervenir pour Céline... qui ne l'oublia
jamais. "
(BC n° 303,
déc.2008).
*
Emilie CARLES
(écrivain, romancière, née Emilie ALLAIS 1900-1979): "
La réalité nous oblige à faire des choix. Par exemple,
pour un pacifiste au moment des maquis et
de la
libération, c'était difficile de se dire : " Je ne suis
ni pour les uns, ni
pour les autres ", parce que l'on savait que les
Allemands c'étaient l'esprit du mal, les camps de
concentration et l'assassinat du peuple juif. En face,
il y avait des hommes et des femmes qui se révoltaient
contre ça, qui RESISTAIENT CONTRE CA. (...) Et il y
avait Céline. Lui, s'ils ne l'ont pas tué, s'ils ne
l'ont pas ASSASSINE, c'est parce qu'il s'est échappé,
parce qu'il a fui, sinon s'il n'avait pas quitté Paris,
ils l'auraient fusillé comme les autres.
Même s'il
s'est trompé, même s'il a eu des paroles malheureuses
pendant la guerre Céline est resté un monument, comme
homme et comme écrivain. Le
Voyage au bout de la nuit, c'est un chef-d'œuvre
de la littérature, c'est fantastique. Il touche à tout
cet homme-là. Il a prévu la guerre de 40 quand il a
écrit Bagatelles pour
un massacre. (...) Les premières pages du "
Voyage
" ont été une révélation pour moi, ce qu'il disait de la
guerre correspondait tellement à ce que moi j'avais vécu
et ressenti. (...) Il faudrait que tout le monde les
lise et les connaisse par cœur, je crois bien qu'après
plus personne n'accepterait d'aller se battre au nom de
n'importe quoi. "
(Une
soupe aux herbes sauvages, Robert Laffont, 1977).
* Henri CASTEX
(historien): " J'ai approché Céline à plusieurs reprises
dans la librairie de mes oncle et tante, 84 Bd. du
Montparnasse en 1936, 37 et 38, librairie connue
sous le
nom de son créateur, Louis Tschann, mon oncle au nom
alsacien, originaire
de Thann. J'ai eu quelques contacts avec Céline qui
fréquentait la librairie. De quoi parlions-nous ? De ses
ouvrages, mais en termes généraux, sans appuyer,
notamment sur l'antisémitisme, dont j'avais eu quelques
notions par la lecture, très épisodique de L'Action
Française. A l'époque, cette note majeure dans les
livres de Céline m'amusait, sans plus. Il me dédicaçait
la plupart de ses ouvrages parus chez Denoël.
(...) Comment était-il habillé ? Correctement, mais sans
élégance. Il était d'aspect sévère, se prêtant peu à des
conversations mondaines. Nous évoquions ses romans, mais
il paraissait peu apte au dialogue. Il paraissait penser
que Voyage au bout de
la nuit
et Mort à crédit
étaient ses livres les plus marquants. Il ne m'a jamais
parlé des pamphlets antisémites. J'ai vu une fois ou
deux, très rapidement, Lucette Almanzor. Physiquement
banale, elle paraissait une compagne dévouée. Céline ne
cachait pas qu'elle était danseuse et exprimait beaucoup
d'affection délicate pour elle, laissant deviner une
réelle passion. "
(Témoignage
recueilli par Jean Bastier, BC n°203 nov.1999).
* Claire CASTILLON
(auteur, animatrice télé) : " Le style de Céline offre
un rythme unique en soi, quasi impossible à reproduire.
Et puis il y a le pessimisme. Absolu, profond. Et à la
fois rigolard. Les gens qui aiment Céline rient du monde
qui les entoure mais ne sont pas dupes. Ce sont un peu
des vieux enfants. J'en suis un, enfin une. "
(20
minutes Paris, 1er juillet 2011, Le Petit Célinien
blogspot.com).
*
Jean CAU
(écrivain et journaliste 1925-1993): " Quoi qu'il en
soit, en 1985, la récupération du monstrueux animal
accomplie. Il disait : " Beaucoup de patience et encore
plus de vaseline et, à la fin, éléphant encugule fourmi.
" Je dirai : " Beaucoup de déodorants, de crèmes
épilatoires et de body -building correctif et voici
Louis-Ferdinand Céline juché sur le podium de toute son
œuvre et sacré plus bel athlète de notre littérature. "
Récupéré. Ouf ! Ca n'a pas été facile et quelques
maniaques ont beau continuer de siffler, dans la salle,
on ne les écoute pas. On les prie de se taire. "
Imbéciles, vous voulez donc qu'il soit maudit ? Vous
rendez-vous compte que son antisémitisme le serait, du
coup, également ? Et, avec cette auréole, vous imaginez
les dégâts que ferait, en douce, le bonhomme ? "
(Paris-Match,
1985).
* Blaise CENDRARS
(né Frédéric-Louis SAUSER, écrivain, poète, romancier
suisse 1887-1961): " Oh oui je connais
CENDRARS
depuis 40 ans. Il n'arrivera jamais à faire tenir un
livre debout. Il a de la mémoire en effet mais
capharnaüm. Ce qu'il faut tu vois c'est un caractère. Il
n'y a pas de caractère chez CENDRARS. Il joue sur
l'épatement pour le bric-à-brac. (La midinette.) Kif
Dekobra. "
(A. Albert
Paraz, 27 mars 1949).
* " ...les vieillards sont aussi
emmerdants que les mornés, eux en sus ont des vaches
souvenances... pensez
CENDRARS si je connais !... Il ne me connaissais
plus, pouah ! j'étais à l'époque secrétaire et livreur
du journal des Inventeurs
Euréka
place Favart (1918) il venait y mendier sa thune ! ses
véritables maîtres : Abel Gance et Félicien Champsaur...
ses idoles de l'époque... il ne les a, dans la merde
jamais dépassés... il fut même toujours très en
dessous... "
(A Roger
Nimier, 22 janvier 1961, Lettres Pléiade, 2009).
* Guido CERONETTI (poète, penseur, journaliste,
dramaturge, marionnettiste italien): " Céline a été le
plus grand écrivain
de notre époque, bien que les ténèbres aient été sur le
point, entre 1937 et 1944, de l'engloutir et de le salir
misérablement. L'attaque fut virulente (image adéquate
Saint-Antoine au milieu des monstres du retable
d'Issenheim) mais je vois, je reconnais dans son visage
des années de Meudon la fatigue terrifiante, l'immense
amâl, l'érgon impitoyable d'un homme qui a traversé
toutes les ténèbres en traînant derrière lui, dans une
implorante boîte en fer-blanc, un peu de lumière sauvée,
quelques éclats de pure compassion humaine.
Sa faute sera, au Jugement, beaucoup plus légère que ce
tabernacle roulant dans la nuit qu'il a endurée, et pour
peu qu'il soit possible, vaincue. "
(La patience du brûlé, BC, août 1995).
* Bruno de CESSOLE
(romancier, journaliste, critique littéraire, essayiste)
: " Si Céline croupit toujours dans les dernières bolges
de l'Enfer, c'est moins par ses errements politiques et
ses fantasmes racistes que son langage métissé,
libertaire, subvertissait en sous-main, que pour avoir
été la bouche d'ombre sacrilège qui osa dire, à
contretemps, la férocité naturelle de l'homme, le
mensonge fondamental de notre société, la novice
illusion du bonheur, la stupide chimère de l'espoir. "
(Céline
l'infréquentable, 2011, E. Mazet, Spécial Céline n°7).
*
Pierre CHALMIN (écrivain, éditeur): " Il appartient
bien à notre époque dénuée de toute sensibilité de ne
pas sentir Céline qui a tout senti. Plus encore que son
style, sa pudeur même, cette élégance impardonnable des
émotions, l'accable. On peut bien invoquer pour le
condamner les grands mots, le Grand Bien ; on bavarde à
côté, et ça n'enlève rien au dernier écrivain français
dont la méchanceté restera de n'avoir pas cru à la bonté
des hommes, d'avoir choisi de rire à leurs désastres
plutôt que de geindre sur leur indignité.
" Ils
étaient lourds... ", voilà ce qu'illustre l'œuvre de cet
expert ès grâces et légèretés. Ils n'ont pas changé,
pardi ! "
(Lettre à l'auteur, E. Mazet, dans Spécial
Céline n°7).
*
Paul CHAMBRILLON
(critique dramatique 1924-2000): " En publiant
D'un château l'autre, Céline déclencha un curieux
sandale
qui rompit le mur du silence. Ce livre fut considéré par
certains de ceux qui s'estimaient ses
disciples, comme une " trahison ". le fait même que l'auteur
eut accepté de recevoir Madeleine Chapsal, journaliste à
L'Express, en était-elle une seconde ? Cet
hebdomadaire était considéré alors comme le parangon du "
journal de gauche ". Céline perdit là quelques amis de
droite.
" Il me manque encore quelques haines. Je suis certain qu'elles existent
", écrivait-il en exergue de
Mea culpa. Ce ne sont certes pas à ces haines-là
qu'il songeait alors. Cinq ans plus tard, il confiait à un
jeune admirateur : " Le mépris total de l'humanité m'est
extrêmement agréable. Son oubli total aussi d'ailleurs ! "
Un de ces vœux, au moins, nous semble tout à fait
irréalisable... "
(L'Avant
-Scène Théâtre, 1er avril 1976).
*
Jacques CHARDONNE (écrivain, de son vrai nom Jacques
BOUTELLEAU 1884-1968) : " L'ardeur qu'a mis Nimier à
préparer la sortie d'Un château l'autre parviendra
même à impressionner CHARDONNE qui, dans le passé,
lui avait donné ce conseil :
"
Ne lisez pas Céline. Vous ne buvez que de l'excellent
cognac. Inutile de vous adonner à cette vodka. On en boit
quand on veut s'enivrer ou en mangeant des steaks tartares.
" A présent, au contraire, il défaille d'admiration : "
Votre lancement de Céline sera mémorable. C'est un
tremblement de terre. "
CHARDONNE
n'a pas changé d'opinion sur l'auteur du Voyage -
dont il n'a vraisemblablement jamais lu une ligne - mais il
admire l'exploit de Nimier qui, avec la complicité amoureuse
de Madeleine Chapsal, a réussi à décrocher ce " scoop " :
une longue et explosive interview de Céline dans
L'Express qui se veut être la voix de la France
progressiste. "
(Christian Millau, BC n°196, mars 1999).
*
" On ne sait pas, je pense, que Céline a été l'homme le plus
éloigné de France pendant l'Occupation, et le plus discret.
On ne le voyait jamais avec les Allemands, mais ils
parlaient avec lui. J'ai entendu dire, un peu trop en ces
temps, que notre littérature s'est éteinte après Rabelais,
pour renaître avec Céline. Qui parle ainsi de Céline et de
la façon dont il était perçu par les Allemands ? Jacques
CHARDONNE, dans une lettre à Jean Paulhan, à l'occasion
de la parution d'un chapitre de Casse pipe dans
Les Cahiers de la Pléiade, en 1948. Et CHARDONNE
d'ajouter : " J'ai été heureux de le retrouver dans vos
Cahiers. (C'est un saint, je crois),
quoique je le préfère dans l'invective (poursuivant des
ennemis de son invention, avec une extrême injustice). "
(BC
n°2007, mars 2000).
* Armand CHARPENTIER (auteur libertaire
1864-1949): " Il est bien certain que si Edmond de
Goncourt, ayant à décerner
le prix qu'il a fondé, avait eu à choisir entre
les Loups de Guy Mazeline et
Voyage au bout de la nuit, c'est à ce dernier
livre qu'il eût donné son suffrage. Goncourt, qui dans
la vie sociale était resté très gentilhomme et comme tel
attaché aux joliesses du passé, se révélait volontiers,
dans le domaine de l'art, comme un révolutionnaire,
bousculant les traductions. Ainsi s'explique cette
œuvre diverse qui va de la du Barry, de la Pompadour,
de Marie-Antoinette à Germinie Lacerteux et la fille
Elisa.
Oui, Goncourt eût aimé l'âpreté et l'amertume de ce
Voyage au bout de la nuit, ainsi qu'il aima les
révoltes de Léon Bloy, les violences d'Octave Mirbeau,
les savoureuses imageries de J.K. Huysmans. Car c'est
bien aux œuvres de ces maîtres que s'apparente le roman
de Céline qui n'est pas précisément un roman à l'eau de
rose. Ce qui fait la valeur de cette œuvre, c'est cette
odeur d'humanité faisandée qui s'en dégage, cette vérité
qui hurle et aussi la personnalité truculente de ce
bohème magnifique, de cet intellectuel qui, en dépit de
sa culture se résigne à être un hors-la-loi. "
(Le
Carnet de la semaine, 6 février 1933, 70 critiques de
Voyage... Imec Ed. 1993).
* Alphonse de CHATEAUBRIANT (écrivain, ancien
prix Goncourt et directeur de
La Gerbe
1877-1951): Reçu par Abetz à
Sigmaringen, avec Céline comme témoin, rêvant aux
grandes fêtes qu'ils pourraient donner en l'honneur de
l'Europe nouvelle, Alphonse de CHATEAUBRIANT
entonne l'air de La
Chevauchée des Walkyries... Il chante faux et
(...) " Abetz se permet un mot... Là, je vois un homme
qui se déconcerte !... d'un seul coup ! le piolet lui
tombe des mains... une seconde, sa figure change tout
pour tout !... cette remarque !... il est comme hagard !
C'est de trop !... il était en plein enthousiasme... il
regarde Abetz... il regarde la table... attrape une
soucoupe... et vlang ! y envoie ! et encore une autre
!... et une assiette !... et un plat !... c'est la fête
foraine, plein la tête ! il est remonté ! tout ça va
éclater en face contre les étagères de vaisselle ! parpille en miettes et vlaf !... ptaf !...
Le coup de sang d'Alphonse ! que ce petit
peigne-cul d'Abetz se permet que sa Walkyrie est pas
juste ! l'arrogance de ce paltoquet ! ah célébration de
la Victoire ! salut !... ptaf ! vlang ! balistique et
tête de pipes, il leur en fout !... fureur, il se connaît
plus ! si ils planquent leurs têtes l'Abetz et Hoffmann
! l'autre bord ! sous la table ! sous la nappe ! pvlaf !
beng ! "
(D'Un château
l'autre, 1957).
* Pierre CHÂTELAIN-TAILHADE
(alias Clément Ledoux, Jérôme Gauthier, Valentine de
Coin-Coin, 1904-1977, écrivain, journaliste au Canard
enchaîné) : " Pour nous le Voyage n'était pas qu'un
chef-d'œuvre. C'était une
libération.
Non seulement
Céline osait dire des choses furieusement désobligeantes
pour l'humanité, mais la façon qu'il avait de dire ces
choses nous révélait une liberté d'écrire dont nous
n'eussions jamais osé rêver sans son exemple. "
(Le
Canard enchaîné, 12 juillet 1961, E. Mazet, Spécial
Céline n°7).
* CHAVAL (de son vrai nom Yvan Le LOUARN,
dessinateur humoriste 1915-1968): " Cher monsieur, /
Pardonnez-moi d'être si bref mais je vis écrasé par les
corvées ménagères, les soins aux animaux et enfin ces
rêvasseries à faire tenir sur le papier, plus la
médecine !... ouf !... et l'âge et les infirmités !... Je
vous suis reconnaissant d'apprécier si fort mes ouvrages
et même mes apparitions ! / Ce n'est pas que je mène
grand train ! Dieu non ! Mais tel encore pharaonique
pour mes forces ! - Je crois que c'est bien un dessin de
vous qui fut la seule drôlerie de mes murs ! - Merci
infiniment et toute mon amitié. / L.-F. Céline. "
(Lettre à Chaval, 28 juillet 1957).
*
Emil CIORAN
(philosophe écrivain roumain d'expression française
1911-1995): " Céline a commencé par être un écrivain, un
grand, et a fini par devenir un cas, non moins grand. "
(Cahiers 1957-1972,
Gallimard, novembre 1997, dans L'Année 1997).
* Paul CLAUDEL
(poète et auteur dramatique 1868-1965) : " Il développa
une importante activité littéraire parallèlement à une
carrière diplomatique. Céline l'épingle dans
Féerie I pour l'opportunisme de ses "
Odes " successivement publiées en l'honneur du
maréchal Pétain (Branques,
27 décembre 1940) puis du général de Gaulle (Paris,
28 septembre 1944). la
première du Soulier de
satin
(publié en 1929) à la Comédie-Française le 26 novembre
1943, interprétée par Jean-Louis Barrault avec Marie
Bell, fut l'un des évènements mondains et culturels du
Paris de l'Occupation.
Le poète, membre du
CNE à la Libération, élu à l'Académie française en 1946,
devint une des principales cibles de Céline, avec
Larangon, Tartre et Carbougniat. Ayant eu connaissance
de la publication de
Féerie I par un article de Robert Kemp dans
Les Nouvelles littéraires, CLAUDEL a réagi
aux attaques de Céline dans une lettre semi-menaçante
datée du 18 août 1952 adressée à Gaston Gallimard, " avec
son salut attristé ". Le surnom Martin Ciboire est
associé dans Féerie
à la Pharisienne,
et le Soulier de satin
à François Mauriac : pour Céline, bonnet blanc et blanc
bonnet, d'où le " nom-valise " Clauriac. "
(Gaël
Richard, Dictionnaire des personnages, Du Lérot 2008).
* Maurice CLAVEL
(écrivain, philosophe, 1920-1979) : " Je vois un rapport
très contraignant et à la fois très confus entre
l'esprit de Céline et ce que j'appellerais l'esprit du
premier christianisme. Même ses premiers livres ont
quelque chose d'évangélique, dans la mesure où ce sont
des livres de pauvre : il y a une sorte de tendresse...
Je considère que Bagatelles est le plus
inoffensif qui soit. Il est d'une telle outrance qu'on
le lit avec passion, mais pour voir jusqu'où il peut
aller. "
(Arts, 12 juillet 1961).
* " Je me souviens qu'à seize
ans mon admiration éperdue pour le Voyage au bout de
la nuit m'avait fait accorder tout crédit à
Bagatelles pour un massacre, et que mon très
léger antisémitisme d'éducation s'en était exacerbé au
point... au point que l'excès même, et nul autre remède,
me guérit bientôt. C'était trop. Cela reflua. Je devins
l'ami et le défenseur des juifs, notamment de 1940 à
1944... Ce qui me fait penser à tel ou tel camarade
pareil à moi, à qui cette étrange guérison n'est pas
arrivée. Ils ont été fusillés.
Quand je lis chez Xavier Grall,
mon très remarquable confrère de Témoignage chrétien,
qu'à l'époque de Bagatelles pour un massacre, les
juifs détenaient en effet beaucoup de leviers de
commande, il a beau ajouter que ce n'est là qu'une
explication et non une absolution, je frémis quelque
peu... Même lui ! me dis-je. "
(E. Mazet, Spécial
Céline n°7, Nov-déc 2012-janv 2013).
* Erick CLEMMESEN
(écrivain danois, critique littéraire et artistique
1905-1984): " Céline ne pouvait que détester ce pays où
la " petite Sirène
" pauvre sculpture d'avorton est devenue le symbole des
tourismes, en même temps qu'une très bonne affaire, où pour
pouvoir aimer la Paix on a besoin des cruautés servies par
une Presse uniquement à sensation. Que Céline ait été
injuste avec le Danemark, c'est certain, mais au Danemark,
vexé pour jamais on se roule en boule et ne bouge point. Le
nom de Céline ne déclenche et presque uniquement qu'une
exclamation - le nazi, l'antisémite ! Allez donc à cette
Grande Presse, avide de grandes nouvelles parler de
l'artiste, de l'écrivain, du génie !
Et quel
beau geste ce serait (pour la récente Académie Littéraire)
de mettre une plaque de marbre au Ved Stranden 20, où il
vécut, fut dénoncé et fut pris. Car au fond cette haine - ne
cachait-elle pas aussi l'amour - un désir de comprendre et
d'être compris. Autrement elle aurait pu rester taciturne
cette grande âme brûlante et étrangère, aux bords
taciturnes, muets et paisibles de la Baltique, cette mer
immobile, sans couleurs et sans odeurs. "
(L'Herne
n° 3, 1963).
-
*
Jean COCTEAU
(poète 1889-1963): " La mort de Céline, après celle
d'Hemingway, c'est notre arbre qui continue à perdre ses
feuilles. Moi qui ne fait pas de politique et qui ne hais
que la haine, j'aimais en Céline qu'il soit un passionné et
toujours vrai dans ses invectives. "
(Le Nouveau Candide, 8 juillet 1961).
*
André CŒUROY (musicologue et critique 1891-1976): "
Cher monsieur, / Mille mercis pour votre beau livre sur
le jazz - / ... le nègre vous le savez n'aime que le
rythme et le tamtam - pas du tout notre mélodie - il la
hait il s'en débarrasse comme il peut en la désossant,
la défigurant, la salopant. Il nous détruit intimement
aussi sous le commandement youtre (tous nos faux jazzman
sont juifs). Il nous avilit, nous animalise, nous
avachit à plaisir - Question de retour au corporel -
Vous m'excuserez de trouver plus à notre façon les
marches militaires allemandes - à rythmes héroïques,
syncopés, plus dans notre destin que les dégoulis
tropicaux avachis américano-youtres (que ce soit par le
juif Lewis ou le juif Hilton). Ajoutez à cette mélasse
une bonne dose branleuse de mélancolie slavo-chinoise et
le complot sera complet... / A vous bien cordialement / L.F. Céline. "
(Lettre
mai 1942, Lettres Pléiade 2010).
* COLETTE (Sidonie
Gabrielle COLETTE, romancière, académie Goncourt en
1945, 1873-1954): " Oh pour
COLETTE vous savez je suis prêt à la trouver la
plus grande écrivaine de tous les Siècles. (...) La
COLETTE à mon petit sens a eu une idée géniale
La Chatte, une petite idée, mais une trouvaille,
au délayage c'est de la merde académique, dite limpide
incomparable
etc. le bafouillage critique. On la prône surtout d'être
une vieille acharnée gonzesse comme Mistinguett et aussi
d'être mariée avec un youtron. L'Ambassade Abetz et
l'Institut Epting portaient la COLETTE aux nues !
Ils la trouvaient eux la 1ère écrivain de France, juste
après Giraudoux qui leur avait bien craché dans la
gueule.
Les boches
aiment le fouet, le juif, et le crachat. Ils adoraient
leurs ennemis. C'est Mme Abetz qui a fait dédouaner tout
de suite le mari de COLETTE
de Drancy ! Pensez donc ! Elle-même ne s'habillait que
chez Schiaparelli, ne couchait qu'avec Lifar, ne faisait
meubler l'Ambassade que par Jensen. COLETTE je
crois jouait aux "
Résistances ". Du coup ce fut de l'Hystérie chez
les Frisés. J'avais une dentiste juive, Mlle Mayer à mon
dispensaire de Sartrouville qui passait ses nuits
d'angoisse chez COLETTE
au Palais-Royal, avec Mme Leibovici la femme du
chirurgien. Il s'agissait de retrouver Leibovici
(foireux s'il en fut), de sauver le mari de COLETTE...
Dieu qu'on s'est amusé ! Tout a très bien fini grâce à
Mme Abetz ! C'est moi qui paye finalement pour toute
cette faribole ! et quelques autres illuminés de mon
espèce ! Quand ça recommencera je vous jure ami d'être
du bon côté. "
(A
Jean Paulhan, le 5 juin 1950, Lettres Pléiade, 2009).
*
Pierre COMBESCOT (romancier, prix Goncourt 1992): "
J'ai lu Mort à crédit
à vingt ans. J'ai aimé Céline parce que c'était quelque
chose de complètement nouveau, un nouveau souffle, une
nouvelle vision, un nouveau style. Aujourd'hui, il
m'arrive de le relire mais par l'intérieur. "
(Le
Figaro-Madame, 27 juin 1992).
*
Jean-Louis CORNILLE (professeur de lettres, occupe
la Chaire de littérature française moderne à
l'Université du Cap): "
De
Voyage au bout de la nuit et
Casse pipe à la
trilogie des dernières années - D'un château l'autre,
Nord et Rigodon - l'œuvre de Céline ne cesse de
tisser une vaste mosaïque, à la fois chaotique et
ambiguë, fantaisiste, onirique et étrangement
disciplinée, d'énergies créatrices reconnues aujourd'hui
comme étant exceptionnelles.
Récits
grossis, déformés, images hallucinées et en même temps
soigneusement structurées, style débridé et pourtant
sophistiqué, une thématique de la détresse qui accable
et de l'ironie qui redynamise - l'œuvre de Céline,
apocalyptique et bouffonne, déploie une esthétique à
bien des égards prophétiquement postmoderne même si la
psychologie et l'éthique qui la sous-tendent gardent un
caractère implicitement visionnaire, hanté d'absolu. " (Céline,
D'un bout à l'autre, Ed. Rodopi, Vol.33, 1999, dans
L'Année Céline 1999).
* Georges COURTELINE (de son vrai
nom Georges MOINEAUX, écrivain 1858-1929): " Auteur
notamment de
Les Gaîtés de
l'escadron (1886), Le 51e chasseurs (1887) et Le train
de 8h47 (1888). Leur schéma
et le thème de la satire de l'armée qu'ils développent
ont été maintes fois repris jusqu'au
Casse-pipe du cuirassier Destouches.
Le 3 janvier 1951, Céline écrivait à Mikkelsen
: " Depuis le Roman de Renard XIIe siècle jusqu'à
COURTELINE 1900 - il n'est guère d'auteur qui
n'ait décoché flèches, lances, bombes contre Tribunaux,
juges, avocats ". Céline évoque la villa que
COURTELINE habita à Montmartre avec sa femme
Suzanne, 89 rue Lepic, où demeura également Noceti. "
(Gaël
Richard, Dictionnaire des personnages, Du Lérot 2008).
*
Pierre-Antoine COUSTEAU (polémiste et journaliste
1906-1958): " Céline, ce n'est pas seulement un torrent
sonore. Ce
n'est pas seulement un
prodigieux artiste, un écrivain d'exception qui s'est
forgé une langue à lui, bien à lui, d'une richesse
hallucinante et parfaitement inimitable. Céline sait
dire les choses. Mais il a aussi quelque chose à dire.
Et ce " quelque chose " a autrement d'importance que la
manière de le dire. Reprenez "
Bagatelles ", l' " Ecole des cadavres ", les
" Beaux draps ". Tout y
est. Tout est expliqué. Tout est prévu.
Tout le mécanisme de notre apocalypse, avec la manière
de s'en servir. Céline est le Baedeker du désastre.
Attention, virage dangereux. Attention, la culbute est
au coin de la rue. Là-dessus, les Aryens ont foncé tête
baissée. Personne n'avait cru Céline sur parole. Tant
pis. Maintenant personne ne pourra plus jamais recoller
les morceaux. "
(Je
suis Partout, 16 juin 1944).
*
Alain CRESCIUCCI
(professeur de lettres, université de Rouen): " Dans la
constitution du décor géographique l'aliment occupe une
place importante. S'il est vrai que dans le " programme
réaliste, le monde est descriptible, accessible à la
dénomination ", on comprend que ces indications
métonymiques que sont les aliments spécifiques, de telle
ou telle contrée ou de telle ou telle situation aient
leur place. Ainsi en Afrique, le blanc isolé en pleine
forêt se contentera de conserves - " Pour la nourriture,
qu'il enchaîna (Robinson), c'est rien que de la
conserve... " - de même, les fuyards de l'exode allemand
profitent, eux, des colis de la Croix Rouge ou des
gamelles de l'armée...
Le séjour américain fait mention de ce qui n'est pas
encore un hot dog mais " un petit pain chaud avec une
saucisse dedans "... L'Angleterre de
Mort
et de
Guignol's
est le pays de la Stout épaisse, du brandy, du gin, du
thé et du " porridge ", des breakfasts avec des
saucisses (" trop minuscules ") sur du pain grillé, du
pudding et de la marmelade. L'aliment est donc
l'accessoire d'une certaine conformité au réel, un
cliché textuel par lequel l'auteur nous présente dans
son discours un calque du réel auquel, en tant que
lecteurs, nous souscrivons. "
(Les
nourritures romanesques, Colloque international de
Londres, 1988, Du Lérot éditeur).
* Eugène DABIT
(écrivain, 1898-1936): " Cher Vieux. / Pauvre Barbusse !
(un très grand écrivain un homme). Il a finit sa vie
dans le cafouillage. Comme Malraux comme Gide, comme
tous les autres. la désertion pour l'artiste c'est de
quitter le concret. Ils ont fini députés ! Fainéants !
On ne votait pas du temps de Cervantès, du temps -
Brughel, du temps - Villon. C'est un bulletin qui coupe
les couilles. Parler au lieu de faire
(...) Il faut vivre à la SDN quelque temps pour comprendre toute la
pourriture des estrades et des " commissions ",
l'émasculation par discours - la fuite vers la théorie.
Ô admirable Breughel ! Je crèverai déçu deux fois par
les bourreaux, par les victimes. Quel troupeau infect !
/ LF Céline. "
(Lettres
2009, à Eugène Dabit, Sannois le 1er sept.1935).
*
Didier DAENINCKX (écrivain, journaliste auteur de romans
noirs): " Le Voyage
a été pour moi une lecture aussi décisive que
Le sang noir de Louis Guillou ou
Les œuvres
d'Eugène Dabit. La transcription du réel chez Céline, sa
décontraction dans l'écriture des dialogues, sa parole
populaire totalement récréée, le rythme personnel de sa
langue, sa manière à lui de tomber du côté de l'écriture
populiste avec sa part d'ombre ont été pour moi une
révélation. "
(Le
Quotidien de Paris, 12 janvier 1994).
*
Sture DAHLSTÔM (écrivain suédois et musicien de
jazz): " Musicien dans un groupe de jazz, Spjut débarque
en Scanie à la
Libération, avec sa contrebasse pour seul bagage. Ivre
de femmes et de musique, il découvre la littérature en
lisant Voyage au bout
de la nuit
et se passionne pour Louis-Ferdinand Céline. Quand il
apprend que l'auteur, accusé de collaboration, s'est
réfugié à Copenhague, Spjut se précipite à sa recherche
et l'aide à s'évader vers la Suède en le dissimulant
dans sa contrebasse.
Mais
il se trouve contraint de jouer avec Céline dans le
ventre de son instrument : ironie du sort, sa musique
est bien meilleure grâce à cet étrange concours de
circonstances. Un pacte s'établit entre les deux hommes
mais las de cet enfermement, Céline supplie Spjut de le
libérer. Le jeune homme saura-t-il se séparer de son
mentor et renoncer au succès de sa nouvelle contrebasse
? "
(Je
pense souvent à Louis-Ferdinand Céline, Ed. le Serpent à
Plumes 2006).
*
Maurice G. DANTEC (écrivain français naturalisé
canadien): " Lire
Normance
et l'ensemble de la trilogie allemande comme je le fis
l'hiver dernier, et comprendre la miraculeuse
impossibilité de la France à produire un seul
authentique écrivain futuriste, à l'exception de Céline.
"
(Américain Black
Box, Albin Michel 2007).
*
Frédéric DARD
(écrivain 1921-2000) : " Je pense que Céline est vraiment
l'écrivain qui m'a le plus télescopé. D'abord par le
courage, ou l'inconscience, qu'il a eu dans la démesure.
C'est vers seize ans que j'ai rencontré un type qui m'a fait
découvrir Voyage au bout de la nuit. Ma pensée s'est
mise à vibrer au rythme de ses phrases. Ça
a chamboulé ma
vie (...) Ce que sa littérature m'a donné : une espèce de
notion de l'écriture, mais aussi de la vie, de la dérision
universelle. Avant même son style, c'est l'outrance. Rien ne
lui résiste. C'est un vociférateur, un imprécateur.
Et puis dans un deuxième temps, c'est le charme. Il y a
un sortilège. Vous découvrez un grand littérateur, un
type qui a une vraie puissance évocatrice, un type qui
sait vous investir d'une façon fabuleuse. Vous vous
sentez infiniment petit et vous vous demandez qui peut
faire mieux. Aujourd'hui, avec un peu de recul, si je ne
devais retenir qu'un seul bouquin, ce serait plutôt Mort
à crédit. "
(Le Matin, Lausanne, propos recueillis
par B. Léchot, 5 décembre 1994).
* " Il y en a plusieurs (livres sur ma table de
chevet), mais un seul en permanence :
Mort à crédit
de Céline. C'est un des plus grands livres de la
littérature française. Et je ne pèse pas mes mots,
j'affirme ! Je dois en avoir douze éditions différentes
dans ma bibliothèque.
(...) Je l'ai découvert en son
temps en 1936. Ca m'a rendu dingue. La ligne à haute tension
! Tout était là-dedans, l'amour, la mort, la fatalité... On
n'a jamais rien écrit d'aussi intense. C'est du sang qui
coule, c'est de la merde qui sort. Ce qui me transporte,
c'est la cruauté de la réalité, la crudité poussée au délire
poétique. Etre cru au-delà de tout, c'est immense. "
(Lire,
1993).
* " Céline,
c'est le patron. J'ai eu le choc. Céline, je suis pas le
seul de ma génération, on a été télescopé par un type
qu'est hors du commun, par un type démesuré dont
maintenant il est vain de chanter les mérites parce que
maintenant d'autres s'en chargent... [...] Bon gré mal
gré, je suis sûrement un enfant de Céline. Je ne parle
pas évidemment de ses prises de positions politiques,
qui étaient les siennes, qui ajoutent d'ailleurs à mon
avis à son personnage, qui sont bizarres et qui font
partie de cette bizarrerie incommensurable qui était la
sienne. Mais Céline m'a fait pour beaucoup. Mort à
crédit est le chef-d'œuvre tout court de ce siècle.
"
(Frédéric Dard, Le DicoDard, textes réunis par Pierre Chalmin,
Fleuve Editions, 2015).
*
Jacques d'ARRIBEHAUDE (écrivain, peintre,
dessinateur 1925-2009): " En partant, et alors que
Guénot, ployant sous le
monstrueux
appareil chargé en bandoulière, avait déjà franchi le
seuil, il m'a retenu par la manche et ses yeux attentifs
se sont plantés dans les miens, tandis qu'il prononçait
mon nom en détachant les syllabes : " Un vieux nom du
Sud -Ouest, n'est-ce pas ? Dites-moi si je me trompe. " -
C'est juste, docteur, Aquitaine, Sud-Gascogne et
Navarre.
Dieu sait
pourquoi la consonance de mon patronyme et son origine
paraissaient l'enchanter. Comme s'il se réjouissait de
voir en moi un plouc de terroir vrai de vrai, à tout
jamais indécrottable. Une sorte de parenté ? Il souriait
jusqu'aux oreilles d'un air si curieusement entendu que
j'ai éclaté de rire. En me serrant la main assez
longuement, il s'est penché vers moi pour murmurer : "
Revenez quand vous voulez, et surtout n'aller en Afrique
que si vous êtes bien retapé. "
(Complainte
mandingue, Ed. L'Age d'Homme).
* Jean-Pierre DAUPHIN
(romancier, archiviste, éditeur de Céline, l'un des
fondateurs de la Société d'études céliniennes,
1940-2013) :
" A ne lire que la critique depuis 1961 et plus
particulièrement la trentaine d'ouvrages ou de thèses
qui lui ont été consacrés, Céline n'est jamais considéré
que dans l'absolu, en dehors de toute référence à son
passé critique.
Journalistes et universitaires
paraissent l'observer de leur seul point de vue, évitant
toute situation historique et, par là, la possibilité
d'une appréciation enfin synthétique. Cette négligence
n'a pas permis de rectifier des méprises qui, Céline y
aidant lui-même, ont tourné à la confusion. "
(Les
Critiques de notre temps, 1975, E. Mazet, Spécial Céline
n°7).
* " Je ne me sens pas tellement
célinien. Ce qui me fascine dans l'œuvre
de ce grand fauve, c'est le caractère unique de
l'expérience qu'elle propose. Rien à voir avec une
estimation morale des pensées de Destouches. Pas de
culte, je n'ai pas à épouser une âme, ni à faire de
disciples. Je regarde des objets, qu'on appelle en
général des œuvres d'art. "
(Propos recueillis par Jean-Louis Ezine, Les
Nouvelles littéraires, 17 juin 1976, BC n°323)
* Christian DEDET
(médecin et écrivain): " A la rage du soleil,
Louis-Ferdinand Céline rit, pleure, se gratte, proteste,
ronchonne, éructe, invoque le ciel, se frappe le front.
Nous y sommes. Céline joue Céline. Céline par lui-même.
Bienheureux Céline
qui, jusqu'aux buées de l'agonie, aura conservé une
enfance intacte. (...) Au centre de l'été naissant,
malgré trois ou
quatre tricots de laine
qui le font suer à grosses gouttes, Céline claque des
dents. Il marche sur les revers d'un pantalon de velours
côtelé dont la braguette baille. Cet homme au bout du
voyage, ce médecin qui n'en peut plus, est un pauvre
parmi les pauvres.
Mais au fait,
pourquoi Céline a-t-il l'air si pauvre ? Est-ce de la
silhouette voûtée, de la démarche incertaine, de
l'accoutrement que sourd cet insoutenable reflet
d'espérance déchue, de misère intégrale ? Ou bien du
seul visage ? Tandis que l'homme bredouille, je
contemple ce visage à la dérobée. L'asymétrie en est
frappante. Les os font saillie. le menton se propose
d'abord ; menton curieusement relevé en galoche et d'où,
jadis, l'éternel anarchiste devait tirer son air
d'effronterie. (...) Caché par le surplomb de l'arcade
sourcilière, par la paupière lourde, un peu tombante,
l'œil est petit. Je tente de capter sa lueur indécise,
mais en vain, le regard est fuyant, fuyard. De grosses
rides vont et viennent sur le front cabossé. Au-delà de
tout sarcasme, de toute mimique désespérée, il me semble
reconnaître ce masque de bonté navrée, cet air de pitié
découragée qu'au cours des nuits de garde, l'hiver
dernier, à Saint-Denis, il m'arrivait de pressentir avec
cinquante ans d'anticipation, d'une main lasse, sur ma
propre ossature. "
(Extrait
du premier tome du Journal 1958-1963, BC n° 216, janvier
2001).
*
Yanette DELETANG-TARDIF (poétesse 1902-1976): "
Jamais le langage parlé, l'improvisation de l'organe
vocal n'a été
réalisé comme par Céline. Quel débit, quelle
incontinence ! Par moments, nous n'en pouvons plus. Le
seul rire peut nerveusement nous sauver de certaines
pages (celles du mal de mer dans la traversée de la
Manche, par exemple, ou de l'agression de Ferdinand sur
son père avec la machine à écrire, ou de l'odyssée du
cadavre du suicidé à la fin, et bien d'autres encore,
irrésistibles d'horreur.
Mais ce n'est pas un rire " d'humour " comme on
l'a dit. Qu'est-ce que
Mort à crédit
aurait à faire de notre " humour ", de notre pitié, de
notre attention même, de nos refus ou de notre adhésion
! Et si terriblement humain pourtant !... Mais je le
répète, pas de place ici pour le spectateur et ses
petits jugements. Qu'il ait la force ou le vice de
regarder - ou bien qu'il se trouve mal, cet accident de
vivre se passera de lui. "
(Cet
accident de vivre, Les critiques de notre temps et
Céline, Garnier, 1976).
*
Paul DEL PERUGIA (docteur d'Histoire à la Sorbonne,
universitaire, 1910-1994): " De tous temps, d'Homère à
Rabelais, de grands
auteurs
n'ont affabulé que pour mieux faire partager leur
émotion. Il valait mieux parler comme Céline au
secrétaire. d'ambassade allemand que de figurer
comme résistant " après avoir fait hommage " de son
livre à un oberlieutenant de la Propandestaffel. Sans
hausser le ton, on peut se souvenir qu'à
Saint-Aubin-des-Préaux, la devise des Céline était : "
Plus d'honneur que d'honneurs ".
Sans
doute l'ambassadeur Otto Abetz en comprit-il la grandeur
en voyant Céline se dresser devant lui comme le voyait
Peter Klarsen accueilli avec amabilité par
l'extraordinaire conteur, mêlant astucieusement le Paris
occupé de 1870 au Paris de 1943. Mais, il en est pour
Céline comme de bien d'autres personnages ou sujets :
l'Histoire ne doit plus être connue que tronquée pour
correspondre à l'esprit du siècle. "
(Ecrits
de Paris, septembre 1991).
*
Joseph DELTEIL (écrivain, poète 1894-1978): " J'ai
fait la connaissance de Céline à l'occasion de la
dédicace de son Voyage
au bout de la nuit
(un bon exemplaire sur alfa, S.V.P.), dédicace qui pour
moi est une date historique : " A l'auteur de Choléra,
dont le souvenir nous fait encore peur. "
Voyage lu à haute voix, de ce débit à la Jouvet,
par saccades, en cherchant les intonations, inflexions
et autres épousements de texte, mimant toute l'opération
oratoire - car il me semble que les livres de Céline
sont essentiellement des livres parlés. Céline l'oral !
"
(Céline l'oral,
L'Herne n° 3, 1963).
*
Michel DEON (écrivain, dramaturge et académicien, né
Edouard Michel) : " Les Beaux draps
resteront le plus émouvant
cri
de douleur de Céline. Le mépris l'étranglait et dans ce
mépris on retrouve tous les symptômes d'un amour
violemment refoulé. [...] La France lui paraissait plus
coupable que n'importe quelle nation, non point pour ses
mérites, mais à cause de ses vanités qui lui seraient
fatales. [...] Céline sentait déjà monter l'étrange
odeur de pourriture parfumée qui annonce le déclin fatal
d'une nation. "
(L'Herne 3, 1963).
* "
L'angoisse existentielle de Céline est un furieux rappel
à l'ordre. Il est le premier imprécateur humanitaire de
son siècle. Son désespoir est charité, sa pitié
accusatrice. Avec Proust qu'il détestait, il a inventé
une écriture poétique comme Rabelais au XVIe siècle a
inventé la langue française. Quel écrivain resterait
insensible à cette révolte permanente contre tout ce qui
avilit les temps modernes ? "
(Michel
et Alice Déon, Parlons-en... Gallimard 1993).
*
Dominique de ROUX
(écrivain et éditeur, 1935-1977) :
" La médiocrité - et spécialement sa forme hargneuse qui alimentait les
listes de prescription et les campagnes de dénigrement - l'exaspérait
et le faisait rugir. Au lieu de l'ignorer et de l'abandonner
à sa bassesse, il lui réglait son compte en s'acharnant et en
déchaînant contre elle une fureur infatigable. Dominique de ROUX
avait
une passion parfois peu complaisante pour l'avant-garde des
énergumènes. Céline et Pround furent ses dieux. Il avait besoin de se
compromettre pour défendre ce que son goût littéraire plaçait au-dessus
du lot. "
(Pol Vandromme, BC n° 16, décembre 1983).
* " J'admire
Céline dans sa pure scélératesse. J'aime ces gens qui
sont d'airain et jaillissent de la terre pour basculer
selon une certaine orbe, sans dévier, sans pirouettes.
La littérature, ce sont des hommes comme Drieu,
Bernanos, comme vous, comme Céline, chacun dans sa voie.
Nous ne pouvons que mépriser les tournesols de chaque
siècle, les Aragon, les Mauriac, les Claudel. Ils
mourront en redingote, dans les bras du Te deum.
"
(Lettre de D. De Roux à Robert Vallery-Radot, dans Madame Céline, D.
Alliot, Tallandier, janv. 2018, p.220).
*
André DERVAL
(docteur en lettres, responsable des fonds d'archives à
l'IMEC, éditeur des Etudes céliniennes au sein de
la SEC): " Deux options se distinguent, elles-mêmes
divisées en deux camps : ceux qui désirent que tout
Céline soit republié, les uns afin de disposer d'un
corpus entier, d'en finir avec la tentation de regarder
les pamphlets en aboutissement de
l'itinéraire célinien, les autres afin de démasquer
l'homme, d'entacher d'opprobre sa postérité, de faire
échec à l'attrait de l'interdit et aux extravagances. A
l'opposé, ceux qui approuvent les consignes
d'embastillement, craignent le manque de discernement du
public.
L'analyse
des pamphlets célinien est donc tolérée dans la mesure
où un petit nombre en a connaissance, grâce au négoce
des " reprints " et des tirages d'époque sur les quais
de la rive gauche à Paris. Dès qu'elle en a l'occasion
(amputation des textes politiques des Œuvres " complètes
", des " Cahiers Céline " et des références de la "
Pléiade ", la presse croit lever le voile sur les
boitements du renouveau célinien, là où le bât blesse ;
il est bien évident qu'elle s'enfonce à plaisir dans le
bourbier des procès d'intention (ce qui n'arrange en
rien la confusion des esprits), à partir du moment où un
minimum de souci d'honnêteté empêche de gloser sur
des textes inaccessibles au commun des lecteurs. "
(L'actualité
célinienne et la presse francophone, Revue des Lettres
Modernes, LF Céline 5, Minard, 1988).
*
Lucien DESCAVES
(littérateur, journaliste, romancier 1861-1949): "
Monsieur, / Vous avez peut-être eu la bienveillance de
parcourir mon livre -
Voyage au bout de la nuit
- que je présente à votre suffrage pour le Goncourt de
cette année. Je me suis demandé s'il vous serait
agréable ou utile de connaître l'auteur et dans ce cas
j'aurais l'honneur de me présenter à vous, quand vous
voudrez, où vous voudrez. Je suis médecin dans ce
dispensaire municipal, c'est mon métier après vingt
autres, né en 1894 à Courbevoie Seine - médaillé
militaire, un peu infirme - 38 ans d'âge - / Agréez je
vous prie Monsieur, l'assurance de ma haute
considération. / Louis Destouches (Céline). "
(Lettre
du 31 oct. 1932, Lettres Pléiade 2010).
*
Robert DESNOS (poète, journaliste 1900-1945): " Rappelons ici que la
polémique
DESNOS-Céline eut lieu en mars 1941. Aucun lien
donc avec l'arrestation de
DESNOS qui se produisit en février 1944. Ajoutons
que Céline ignorait les activités clandestines de l'auteur du
Pamphlet contre Jérusalem. Et lorsque ce dernier le prend à
partie, à la parution des Beaux draps,
c'est dans... Aujourd'hui,
journal collaborationniste auquel il donna des articles jusqu'en 1943.
Céline n'est donc en rien responsable de
l'arrestation de
DESNOS, et ne l'a jamais dénoncé comme résistant.
L'affirmer constitue une diffamation patentée. Contre Céline, tout
serait-il permis ? Au moins, Marie-Claire Dumas, présidente de
l'Association des Amis de Robert DESNOS, reconnaît-elle que
Céline n'est en rien à l'origine de cette arrestation. "
(Marc
Laudelout, BC n°236, nov. 2002).
*
Luc DIETRICH
(écrivain, poète, photographe 1913-1944): " Fini
Céline, une grande fin. Je revois la gueule de Céline,
chez Denoël : le parleur, celui qui se justifie.
Gueule
de représentant de commerce " (mai
1936, notation après lecture de Mort à
crédit).
- " Fini Bagatelles
pour un massacre. Livre terrible et tout
poignant. Absolument pesant, Savanarola -spéculum
-Céline, joie de me sentir chrétien malgré tous les
privilèges de la race juive, malgré sa force. " (en
1938, lecture de
Bagatelles pour un massacre).
Et un an plus tard : " Je lis
Bagatelles pour un massacre
de Céline ou plutôt je relis ce livre sanguinolent,
nourrissant, dur du jarret et du poing et d'une telle
voix, d'une telle furie ; et ce regard rapide ; perçant
sur la bassesse de l'homme. Pauvre Céline, on le sent
enfermé dans une boule qu'il amplifie de vacarmes et de
gestes. Le grumeau des images, la sarabande. Céline a
raison ! Nous voulons plaire, nous prostituons tout avec
nos mots vide-ordures : cœur, amour, tendresse, etc.
(mercredi 14 mars 1939). Luc DIETRICH et Céline
eurent le même éditeur, Denoël, chez qui ils se sont
donc rencontrés.
Luc DIETRICH trouva la mort sous les
bombardements américains de Saint-Lô.
(les
Cahiers du temps qu'il fait, Cahier douze, extraits du
Journal, L'Année Céline 1998).
*
Philippe DJIAN
(romancier): " Céline a été un véritable choc pour
moi, une révolution. On parle toujours du racisme de
Céline, mais moi, je n'ai jamais lu ses pamphlets. Et de
toute façon, il est facile de ne pas les lire... Le
personnage ne m'intéresse pas, mais Céline avait une
espèce de folie et de talent tellement grands que, bien
sûr, à l'époque, ça faisait des étincelles dans le
milieu littéraire... Mon livre préféré n'est pas le
Voyage au bout de la nuit, mais plutôt
D'un château l'autre. "
(Impact
médecin quotidien, 15 juin 1994).
*
" Céline n'est pas un écrivain qui vous tend la main. Il
est celui qui vous enfonce la tête plutôt que de vous
repêcher. Il est l'ange Exterminateur. Le plus puissant
d'entre tous. On peut imaginer que sa noirceur est à la
mesure de sa souffrance. Quand je n'avais rien à faire,
je passais devant chez lui, à Meudon, et je sentais ma
tête se rentrer entre mes deux épaules. J'avais
l'impression qu'il s'agissait d'une maison hantée, de
laquelle s'échappaient des vibrations terribles.
Plus tard, après sa mort, lorsque j'y pénétrai, je me
sentis oppressé. Céline a toujours été pour moi un
maître effroyable. La passion que j'ai pour lui se
double d'un côté morbide. Lorsque j'ai lu Bagatelles
pour un massacre, je me suis dit que j'avais affaire
à un cinglé. Mais il y avait aussi des documents de
l'époque qui témoignaient de la folie et de
l'abrutissement ambiants. D'une manière ou d'une autre,
la haine était un sentiment largement partagé. Le
pouvoir de Céline, cette espèce de génie monstrueux de
la langue dont il était l'unique et irascible détenteur,
avait le chic pour mettre le feu à tout ce qu'il
approchait. (...) Et peut-être que certains juifs
faisaient vraiment chier, comme aujourd'hui certains
cathos font vraiment chier. "
(Céline représente pour
moi le styliste absolu, Ardoise, Julliard, 2002, Le
Petit Célinien, 23 nov. 2012).
* Pierre DOMINIQUE
(de son vrai nom Dominique Luchini, docteur en médecine,
écrivain, polémiste et journaliste 1889-1973)
: " L'autorité que garderont ses ouvrages, nul n'en sait
rien, mais on les lit et on les relit pour l'heure, et
il est clair aujourd'hui que les critiques qui crièrent
au grand écrivain en 1932 furent des esprits sagaces.
Ils mesurèrent exactement la puissance - la force de
frappe -, mais aussi la grandeur, la hauteur de ton de
cet anarchiste supérieur. Céline, c'est un homme seul,
qui grogne, qui gronde, qui insulte, qui proteste, qui
vitupère. Il n'a personne derrière lui, ni parti, ni
confrérie, ni ligue, ni église.
Comme il parle
librement, il dit son fait à tous les princes, à tous
les marchands, à tous les esclaves, et il multiplie
ainsi ses ennemis. Il est brutal, grossier, il appelle
les gens et les choses par leur nom ; il y a en lui du
carabin qui vous envoie un morceau de macchabée par la
figure, histoire de plaisanter. Ou histoire de se
défendre. Les étrangers n'ont qu'à ne pas fréquenter les
salles de dissection. "
(BC n°228, février 2002).
*
Michaël DONLEY (enseignant anglais, musicologue et
écrivain): " Une telle attention au contexte rythmique
le plus large,
c'est ce que Céline indique lui-même dans autre lettre à
Paraz. Minimisant la valeur des dictionnaires d'argot,
il écrit que " les mots ne sont rien s'ils ne sont pas
notes d'une musique du tronc " (...) La magie n'est pas
dans les mots, elle est dans leur juste touche - ainsi
du piano - des airs, du Chopin - des notes ".
Canavaggia souligne également l'importance
qu'attachait Céline, dans ce processus de fabrication, à
la lecture de son texte à haute voix - c'est-à-dire, à
la façon qui révèlerait le mieux sa musicalité. Max
Dorian racontant les journées excitantes de 1932,
lorsque les épreuves de
Voyage arrivaient, le confirme : " Tonitruant,
postillonnant, gesticulant, rigolant, il nous lisait
tout haut des passages des épreuves que nous recevions
au fur et à mesure de l'imprimerie. C'est ainsi qu'il
nous révéla son secret : le
Voyage est
prose sonore, composée pour être lue à haute
voix. Mais pour arriver à ce rythme, que d'efforts, de
remises en chantiers. "
(Céline
musicien, Librairie Nizet, 2000, dans BC n°212,
sept.2000).
* John DOS PASSOS (écrivain et peintre américain,
1896-1970) : " 22 juin 1934 / Cher M. Dos Passos, /
Louis-Ferdinand Céline, l'auteur de Journey to the End of the Night,
que vous avez sans doute lu et aimé, est en ce moment à New York, et a
exprimé, lorsque je l'ai rencontré là-bas hier, le désir de vous
rencontrer au cours de son séjour de trois semaines dans ce pays.
Il est convenu que
Céline viendra à Boston à la fin de la semaine
prochaine, mais nous ne sommes pas du tout sûrs que vous
y veniez au cours de vos vacances d'été. Nous vous
préviendrons cependant de son arrivée, et il sera
peut-être alors possible d'organiser une rencontre.
Sincèrement.
(De l'éditeur américain à l'écrivain
John Dos Passos, Provincetown, Massachussets, dans
L'Année Céline 1996).
* Pierre DRIEU LA ROCHELLE
(écrivain, romancier, essayiste et journaliste 1893-1945): " Je me suis
trouvé, comme tous les autres écrivains contemporains devant un fait
écrasant : la décadence. Tous ont dû se défendre et réagir, chacun à sa
manière,
contre ce fait. Mais aucun comme moi - sauf Céline - n'en a eu la
conscience claire. "
(Préface
réédition de Gilles, juillet 1942).
- " (...) Céline,
lui, est bien équilibré. Céline a le sens de la santé. Ce n'est pas sa
faute si le sens de la santé l'oblige à voir et à mettre en lumière
toute la santé de l'homme de notre temps. C'est le sort du médecin qu'il
est, du psychologue foudroyant et du moine visionnaire et prophétisant
qu'il est aussi. (...) Cette facette religieuse de Céline,
DRIEU a peut-être été le seul à la mettre en évidence.
Il classe Céline au côté des "
grands vigilants du mysticisme moderne : Veuillot, Barbey et Bloy, Léon
Daudet " et poursuit : " C'est un homme qui ressent les choses
sérieusement et qui, en étant empoigné, est contraint de crier sur les
toits et de hurler au coin des rues la grande horreur de ces choses. Au
Moyen Age, il aurait été dominicain, chien de Dieu ; au XVIe siècle,
moine ligueur : il est lié à la totalité de la chose humaine, bien qu'il
ne la voie que dans l'immédiat du siècle. "
(Article
de la NRF, mai 1941, Frédéric Saenen, BC n° 161, fév. 1996).
*
Georges DUHAMEL
(médecin, écrivain, poète, académicien 1884-1966): " Le
souffle qui anime mes livres n'est pas de " vengeance, de
violence et de passion " c'est un souffle de
patriotisme. Il faut bien vous le révéler puisque
vous ne semblez
rien y comprendre. Ce n'est pas un souffle d'enculé ni par
les allemands, ni par les anglais,
ni par les russes, ni par
les américains, c'est un souffle de FRANCAIS ! Ah ! quelle
rareté !...j'ai tout perdu, j'ai tant souffert pour essayer
que le sang français ne COULE PLUS. Là est mon crime, tout
mon crime. C'est à moi de vous juger tous et non à vous de
me juger. M. Sartre me dénonce comme agent de la
Gestapo...En voilà du
dénonciateur, de la
bourrique puisque vous en cherchez. Et de la plus
ignoble espèce : la glorieuse planquée.
Vertu ! mais je vous vois
bien plus en train de faire campagne à l'Académie en sa
faveur... je n'ai jamais réclamé pendant l'occupation la
peau, l'incarcération de personne... C'est sous la " botte "
et sous Pétain que rutilèrent et comment ! Mauriac, Cocteau,
Claudel, Aragon, etc. les signataires des listes noires...
vous le savez mieux que personne. Quel écrivain a souffert "
sous la botte " ? la lessive au sang de l'épuration n'a rien
purifié DUHAMEL... Les clefs de Madame Macbeth
ouvrent de curieuses portes... "
(Lettre
de Céline à G. Duhamel, 7 nov. 1947).
* Jean-Pierre ENARD
(écrivain, romancier, rédacteur au journal
Mickey, directeur de la bibliothèque rose chez
Hachette, 1943-1987): " Une fois au moins dans ma vie,
j'aurais mangé des gâteaux avec une héroïne de roman.
C'était il y a trois ans
ou quatre ans à Meudon, au bord de la Seine. Sur la
grille du pavillon, que défendaient des molosses
agressifs, un écriteau indiquait qu'ici, Lucette
Almanzor donnait des cours de danse, mais la femme à la
soixantaine menue, avec son pantalon noir serré et ses
cheveux roux tirés en bandeau, n'était pas seulement une
ancienne danseuse de l'Opéra Comique qui initiait les
petites filles de banlieue à l'entrechat et au
jeté-battu.
Sous le nom
de Lili, elle avait été la compagne de Ferdine, de La
Vigue et du chat Bébert à travers l'Europe en flammes
d'Un château l'autre,
de
Nord
et de
Rigodon.
Céline était mort en juillet 1961, Bébert et Le Vigan
avaient disparu, le pavillon du docteur Destouches avait
brûlé en 68. Pourtant, je reconnaissais bien Lili, avec
sa grâce, son désarroi, sa tendresse pour les animaux.
Si j'en avais douté, le perroquet Toto, dans sa cage,
m'aurait confirmé que, durant cette heure-là, nous
jouions, comme malgré nous, à être des personnages de
Céline. "
(Le
Quotidien de Paris, 2 déc.1980, dans le BC n°62).
*
Elie FAURE
(essayiste, historien de l'art 1873-1937): " Très cher
ami, / La gauche qu'est-ce que ça veut dire par les
temps qui courent ? RIEN - moins que RIEN. Au fascisme nous
allons, nous volons. Qui nous arrête ? Est-ce les quatre
douzaines d'agents provocateurs répartis en cinq ou six
cliques hurlantes et autophagiques ? Ca une conscience
populaire ? Vous rigolez ami ! Je ne vois (et je les
connais bien) dans cette sinistre mascarade que de
ridicules ou sournois velléitaires dégénérés de tous les
idéals, dont la trahison elle-même ne veut plus rien
dire.
Il ne faut plus commettre les fautes de 71. Crever pour
le peuple oui - quand on voudra - où on voudra, mais pas
pour cette tourbe haineuse, mesquine, pluridivisée,
inconsciente, vaine, patriotarde alcoolique et fainéante
mentalement jusqu'au délire. Le mur des fédérés doit
être un exemple non de ce qu'il faut faire mais de ce
qu'il ne FAUT PLUS FAIRE. Assez de sacrifices vains, de
siècles de prison, de martyrs gratuits. Ce n'est plus du
sublime, c'est du masochisme. "
(Lettres
2009, à Elie Faure, fin mai 1933).
* Youssef FERDJANI
(enseigne à l'Université de
Toulon. Docteur en littérature comparée de l'Université
de la Sorbonne Nouvelle Paris III). " A ce niveau, la
dialectique de la compréhension et de l'explication
permet de montrer que tous les évènements racontés dans
le roman ont pour but la révélation d'une vision du
monde particulière, une philosophie correspondant à
celle de Céline, caractérisée par la vacuité de toute
démarche humaine et le triomphe de la mort. Mais cette
fiction romanesque n'est pas seulement le récit des
échecs d'un personnage ; c'est aussi l'échec de
l'humanité dans son ensemble et c'est à travers la
guerre que cet aspect est le plus évident.
Nous retrouvons là un point commun avec
Candide, le personnage de Voltaire. En effet, c'est en
allant d'échec en échec qu'ils progressent, qu'ils
perdent leurs illusions et qu'ils acquièrent une
meilleure compréhension du monde et d'eux-mêmes. L'échec
est donc un élément qui participe à la structuration de
l'œuvre. "
(Voyage : un Culte du Moi paradoxal, BC n° 423, novembre 2019).
* Ramon FERNANDEZ (écrivain, journaliste
1894-1944): " Vous dirai-je le sujet de
Guignol's band ? Ce ne serait pas commode.
On pourrait apercevoir dans le monologue célinien plus
d'une analogie avec l'écriture musicale, tant en ce qui
concerne l'enroulement des thèmes qu'en ce qui concerne
le retentissement des sons, de l'enchaînement des sons
sur les idées.
Il faut lire
ce livre comme une sorte de symphonie haletante,
syncopée en diable, essoufflée parfois, mais d'un
essoufflement qui est à son tour comme la notation
musicale d'une ironie à froid qui, pour ainsi dire, se
fuit elle-même. Car l'ironie de Céline n'aide pas à
supporter légèrement l'horreur du monde : elle permet
seulement de s'en étourdir, comme d'une drogue. "
(Panorama, 27 avril 1944).
* Valeria FERRETTI (doctorante à
l'Université de Florence (Italie), traductrice de la
correspondance de Céline à la presse collaborationniste
) : "
Pour ce qui concerne la
réception critique des écrits antisémites, il est sûr
qu'en Italie, on continue à prêter une attention vive
et, comme en France, Céline demeure une question
épineuse et
d'une certaine façon irrésolue. En 1938, une première
traduction de Bagatelles avait été faite par Alex
Alexis (traducteur du Voyage en 1933) mais sans
doubler l'écho de la première.
Très probablement, le texte était trop proche de l'actualité politique
française et l'écrivain encore mal connu pour que les
lecteurs italiens de l'époque s'y intéressent vraiment.
Mais il est étonnant de remarquer, comme je l'ai montré
dans ma communication lors du colloque canadien, la
multitude des éditions (légales ou illégales) italiennes
des pamphlets couvrant la période 1981-1995. Ces
éditions ont souvent des préfaces qui s'avèrent de vrais
témoignages d'admiration frôlant la dévotion pour
Céline.
(Entretiens
du Petit Célinien, 20 janvier 2014).
* Michaël FERRIER
(écrivain, professeur à l'Université Chuo de Tokyo): "
Patience de Proust, urgence de Céline. Le premier
procède par addition, longues phrases, subordonnées
savantes : il construit une cathédrale en quatre
dimensions, s'installe dans le Temps, en fait la
condition même de possibilité de son
œuvre. Le second procède par
soustraction, ruptures de
construction,
broderie des points de suspension : il coud à la main
une dentelle fine et meurtrie, un incessant travail de
sape qui vise à arracher quelques morceaux de la vie à
la trame du temps. Si les deux œuvres
au bout du compte poursuivent le même but, survivre à
l'anéantissement, elles le font selon deux principes
divergents : Proust en se livrant à une analyse
minutieuse (et, quoi qu'en dise Céline, admirable) de
chaque moment de sa vie, pour en tirer une leçon,
révéler une vérité, Céline en se plaçant aux frontières
de la mort pour en extraire une vibration, un
pétillement ; " les petits airs en train d'oubli, les
joies défuntes, le tout petit peu de vie qu'ils cachent
encore. "
Mais la chanson n'est
pas non plus dénuée d'aspects idéologiques : le recours
à un moment particulièrement brillant de l'art lyrique
national (Offenbach, Lecocq, Messager, l'école française
de l'opéra-comique) ou à des airs populaires censés
représenter le sanctuaire de l'identité nationale
(Mayol, Fragson, Chevalier...), voire du " lyrisme
esthétique blanc " (lettre à Combelle de 1938), est
ainsi particulièrement évident dans les pamphlets, qui
reprennent en de nombreux endroits les procédés
comiques, mais aussi antisémites, des monologues de
chansonniers - à la manière d'un Bruant, qui se
présentera aux législatives de Belleville en 1898 avec
un programme anticapitaliste aux accents cocardiers et
antisémites. C'est ce qu'on pourrait nommer la veine du
" folkloriste patriote effréné " ( " je suis
un folkloriste patriote effréné dans un pays de
dégénérés de laquais et de bâtards ", lettre à
Paulhan, février 1948). "
(Yop te deum, Télérama
Hors-série, Céline, 2011).
* Véronique FLAMBARD-WEISBART
(professeur de français, Doctorat, Loyola
Marymount University, Los Angelès USA): " Une des
obsessions débilitantes de Céline
exprimée dans cet
échange épistolaire avec la N.R.F. et Marie Canavaggia
tient en effet
au désir aliénant de l'auteur de se faire publier, et
plus précisément " de son vivant " et dans " La Pléiade
". Le 14 septembre 1960, Céline confie ses craintes
quant à la publication prochaine de ses textes dans " La
Pléiade " à Marie Canavaggia : " Jai été alerté par
Laigle au sujet de La Pléiade... J'en doute... " Céline
n'a pas tout à fait tort, car deux semaines avant sa
disparition, il écrit à Jacques Festy : " Vous avez
sûrement noté que dans la Table des Matières je suis
pudiquement omis alors que Malraux et Montherlant... Je
suis luxé ! Une fois de plus. "
Si cela se
pouvait, et pour arriver à se faire publier de son
vivant et dans ses propres termes, Céline irait jusqu'à
défier la mort ainsi que le suggère cette lettre à Roger
Nimier en 1957 : " Je dois l'avouer en fait de
constellations je ne m'intéresse qu'à La Pléiade, et aux
amabilités de Gaston. Je me suis donc rendu chez mon
notaire pour y étudier mon testament, y ajouter qu'après
ma mort je défendais absolument qu'on publie aucun de
mes livres dans La Pléiade N.R.F. et même (nous
consultons à cet égard) qu'on me publie plus, nulle part
- défense absolue - rien de posthume ! Gaston est un
petit obstiné, je le suis moi, à l'infini ! "
(D'une
parole sans nom, la publication posthume de Céline, XIe
Colloque International d'Amsterdam, 5-7 juillet 1996).
* Benjamin FONDANE (1898-1944, né Benjamin
WECHSLER, poète, essayiste, critique littéraire, juif
d'origine roumain naturalisé français
en 1938): " Cher Confrère. / "
On ne contente personne
" prétendait La Rochefoucauld. Beaucoup plus modeste je
n'essaye même pas. (...) Il est bien possible qu'en
effet on me pende un jour prochain - qu'on essaye tout
au moins - et après ? Ceci prouvera-t-il cela ? Je ne
sais pas au juste qui me pendra. Les militaires ? les
bourgeois ? les communistes ? les confrères ? Qui ?
L'accord n'est pas fait.
(...)
Mon mépris pour ces brutes est total, absolu. Je les
aime bien comme on aime les chiens mais je ne parle pas
leur langue de haine. Ils me dégoûtent totalement dès
qu'ils aboient. Et ils n'arrêtent pas. Qu'ils aillent se
faire dresser s'il se peut encore ! Mais je crois qu'ils
sont enragés. Et ils minaudent ! / Bien à vous. / L. F.
Céline. "
(Lettres
2009, du 29 novembre 1933).
* Philippe FOREST
(écrivain, romancier, universitaire) : "
Que le roman doive être entendu comme une
grande parole de
pitié adressée à tout ce qui vit et à tout ce qui meurt,
que ce soit une telle parole qui résonne essentiellement
en lui, et même derrière les éclats de haine et les
accents de rage, Céline en témoigne. [...] Ainsi, par
exemple Féerie pour une autre fois. On y trouve
cette étrange déclaration qui, à elle seule, mériterait
des pages de méditation : " Je vous prouverais quand
vous voudrez l'existence de Dieu à l'envers.
" Le roman
comme anti preuve ontologique ? Bien mieux que la
poésie, le roman parle dans le retrait du divin, dans le
vertige qu'ouvre celui-ci, afin de faire entendre depuis
un tel abîme une parole toute simple, un mot de révolte
vulgaire comme la vie s'opposant à tout ce qui la nie :
" la conscience c'est ça : merde ! merde ! jamais, en
quelque circonstance, j'ai pu me résigner à la mort...
"
(Anthologie, Eric Mazet, Spécial Céline n°9, 2013).
* Pascal FOUCHE
(écrivain, éditeur et historien): " Depuis plus de
trente ans, la recherche sur Céline ne cesse de
s'enrichir.
Céline ne cessait de réécrire ses œuvres par pages
entières pour trouver la meilleure façon d'exprimer ses
émotions, et pouvait ne choisir le mot juste qu'au
dernier stade de ses corrections. Ainsi la réapparition
récente, au début de l'année 2001, du manuscrit de
Voyage au bout de la nuit, après celle d'une
version dactylographiée, en 1976, éclaire le travail de
Céline, parvenant à force de corrections, à sa version
définitive et confirme les hypothèses émises sur les
versions successives du texte.
Ainsi la
fameuse première phrase de
Voyage au bout de la nuit, " Ca a débuté comme ça
" apparaît-elle dans le manuscrit sous la forme " Ça a
commencé comme ça " ; et c'est seulement sur la
dactylographie que Céline a rayé le mot " commencé "
pour le remplacer par " débuté ", premier exemple d'un
travail qui a fait d'une phrase qui aurait pu rester
assez banale l'un des plus célèbres débuts de roman du
XXe siècle. "
(Gallimard,
coll. Découvertes 2001).
* Annie FRANCOIS (éditrice au Seuil, écrivain) :
" j'ai dit que ma mère, pour parer les risques d'une
hypothétique crise
mystique, m'engagea à treize ans à lire le
Voyage au bout de la nuit. Pas question d'entrer
dans les ordres, ni religieux ni maternels. je déclarai
Céline tricard. Ayant quitté fort tardivement le
domicile parental, ce n'est pas avant vingt et un ans
que je me suis offert le luxe d'entamer le
Voyage. Fiasco. Fiasco total. Or, mes nouveaux
amis (de gauche) étaient aussi jusqu'auboutistes que ma
mère (de droite). La pression était si forte que je
jurai de ne lire Céline que si on ne m'en parlait pas
pendant trois mois.
A trente ans, je n'y tins plus.
Après tout, nul n'est obligé d'honorer un pari imbécile
engagé avec soi-même. Je repris le
Voyage. Fiasco. A quarante ans, au cours d'un
dîner avec mes meilleurs amis, je leur dis que s'ils
m'aimaient et aimaient tant le
Voyage, ils n'avaient qu'à me l'enregistrer. Ils
se défilèrent. Pour mes cinquante ans, François organisa
une sublime fête chez Armelle. Après que j'eus soufflé
les bougies, chacun me remit une cassette où il avait
lui-même enregistré un passage du
Voyage. A cela près que François, peu directif,
n'ayant donné aucune consigne, j'ai évidemment cinq fois
l'arrivée à New-York ou la scène de l'avortement. J'ai
donc une soixantaine de cassettes. Je n'ai toujours pas
lu le Voyage au bout
de la nuit. Je l'écoute. "
(B
* Jean
FREUSTIE (né Jean-Pierre Teurlay, écrivain, critique
littéraire, 1914-1983) : " L'Hommage à Zola,
qu'on m'en excuse, me fait penser par le ton, par une
certaine
polyvalence des mots, au Malraux des grands jours,
ténébreux et prophétique. Le style de Céline, si souvent
et malheureusement imité, n'est en rien un style parlé.
Plus précieux que l'argot, plus recherché, plus
littéraire, il est unique et je dois dire merveilleux
dans sa chorégraphie souple et rebondissante.
Bagatelles pour un massacre, on y verra le style
célinien, pas le meilleur, traduisant la pensée d'un
ancien combattant qui n'aurait pas réussi en tant que
commis voyageur et connaîtrait Drumont par cœur.
Une sorte de
poujadisme avant la lettre est la pensée véritable du
docteur Destouches, pourtant écrivain au magique talent.
Ce genre de contradiction existe. Triste histoire que
celle de ce Louis-Ferdinand " couillonné " plus par
lui-même que par les autres. "
(Nouvel Observateur, 20 sept. 1976, Spécial Céline n°8, E. Mazet).
*
Carlos FUENTES
(écrivain et essayiste
mexicain) : " Comment voyez-vous les relations
entre la littérature et la politique : ont-elles à se
méfier l'une de
l'autre ? "
"
Bien sûr, la littérature se mêle tout le temps de la
politique. Parfois bien, parfois mal... Le chilien Pablo
Neruda était un grand poète. Qu'il ait été stalinien ou
communiste est secondaire, c'est un choix du citoyen. A
l'autre extrême, Louis-Ferdinand Céline était un
antisémite, un type horrible, mais quels grands livres
il a écrit ! Le pire est de se soumettre littérairement
à une idéologie. De nombreux écrivains soviétiques l'ont
fait et ils ont écrit des livres médiocres. "
(Lire, mars 2009).
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